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REVUE DES DEUX MONDES.

— Qu’est-ce donc que ce M. Zéphyr, qui est amoureux de toi et de mon châle ? avait demandé Cécile à son amie.

— L’apprenti de mon père, répondit Adeline, un enfant abandonné que mon père a recueilli.

— Et il est amoureux de toi ? continua Cécile.

— C’est une plaisanterie sans doute, répondit la fille du sabotier. Zéphyr est un enfant ; d’ailleurs tu le verras.

Cependant Adeline fut un peu préoccupée par les paroles qu’elle avait entendu Lazare adresser à l’apprenti.

— Ces dames sont servies, vint dire la Madelon avec une certaine majesté d’attitude et d’accent.

— Nous descendons, répondit Adeline. Moins cérémonieuse avec le pensionnaire, Madelon alla lui sonner le dîner à coups de poing dans sa porte, et lui cria simplement : — Monsieur Lazare, la soupe est sur la table.

— On y va, répondit l’artiste. — Tiens, murmura-t-il, il y avait du monde à côté.

On descendit dans la salle à manger. Derrière les deux femmes arriva Lazare, qui avait donné à sa toilette plus de soin que de coutume. Il avait quitté la blouse et le pantalon de travail pour des vêtemens de simple toile, mais plus frais ; sa cravate, ordinairement roulée en corde à puits autour de son cou, était mise avec plus de soin, il avait même essayé vainement un simulacre de nœud. De cette tentative, l’intention seule était restée apparente, Adeline ne lui en sut aucun gré. Elle devinait que toutes ces élégances avaient pour but de s’attirer les regards de Cécile, et elle se mit à les observer tous les deux avec une ténacité singulière. Lazare et la jeune femme avaient échangé un salut muet et poli, et, debout auprès de la table, ils semblaient hésiter avant de s’asseoir. La fille du sabotier s’aperçut que le hasard avait, par les mains de Madelon, disposé la place des couverts de façon que Cécile allait se trouver la voisine de l’artiste. Cet arrangement déplut instinctivement à Adeline. Avec beaucoup d’adresse et sans être aperçue, elle changea rapidement de place sa serviette, roulée dans un petit rond à son chiffre. Par suite de cette manœuvre, le placement primitif se trouvait modifié, et, quand tout le monde se fut assis, Adeline se trouva entre son amie et Lazare. Le repas fut très animé. Adeline elle-même, qui était restée d’abord silencieuse, se mit à l’unisson de l’animation générale. Après quelques mots, Cécile et Lazare s’étaient sentis sympathiques l’un à l’autre. Il avait suffi pour créer cette sympathie de quelques points de rapport dans des opinions naturellement émises de part et d’autre dans le cours d’un de ces avant-propos pendant lesquels on semble chercher quel terrain on donnera à parcourir à la conversation. On avait d’abord parlé de