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termes de ce dilemme vous semble préférable ? Il se pourrait bien que dans la situation où M. Benson est placé, dire la vérité fût faire précisément acte de pharisaïsme. Chacun de nous a pu reconnaître mille fois dans sa vie qu’il y a des actes et même des crimes qui échappent au jugement de l’homme et qui ne peuvent être absolument justiciables que de Dieu. Le mensonge de M. Benson rentre exactement, si petit qu’il soit, dans cette catégorie de fautes exceptionnelles et qui ne relèvent pas du tribunal des hommes. Mais en Angleterre, pays d’absolue légalité, toute infraction à l’ordre et à la coutume établie soulève des récriminations sans fin, et voilà pourquoi le mensonge de M. Benson y a excité tant de discussions. Deux sentimens, — l’un très honorable, le respect de la légalité, — l’autre détestable, le respect de la coutume établie, quelle qu’elle soit, — se sont accordés pour se récrier contre ce péché véniel.

Quoi qu’il en soit, on ne prend jamais impunément une décision de cette nature, et bientôt M. Benson et sa sœur s’aperçoivent qu’ils se sont placés dans cette situation si bien décrite par un homme plus expert qu’eux en fait de mensonge, le cardinal de Retz ; dans cette situation où nous nous trouvons placés par notre propre choix, où le sort n’a rien fait pour nous conduire, et dont nous ne pouvons plus sortir alors qu’en faisant faute sur faute. Après un premier mensonge, il en faut un second, puis un troisième ; chaque matin, il faut répéter celui de la veille. Le mensonge de M. Benson n’a pu tromper la vieille servante Sally, qui commence à grommeler entre ses dents qu’il est temps pour elle de partir, puisque maintenant on remplit la maison de gens douteux et qui lui sont suspects à plus d’un titre. Un soir, Sally entre dans la chambre de Ruth. — Miss ou mistress, dit-elle, je ne sais lequel de ces deux noms vous convient ; vous êtes veuve, parait-il ; où est votre anneau de mariage, et pourquoi portez-vous encore, malgré votre deuil, ces longues boucles flottantes ? Je ne souffrirai pas que pour vous M. Benson et sa sœur deviennent la fable des environs. Je ne le souffrirai pas. — Et, s’armant de ses ciseaux, elle coupe les longues tresses de la chevelure de Ruth, qui la laisse faire avec patience et résignation et sans souffler mot. Cette douceur, en confirmant les soupçons de Sally, gagne en même temps son cœur, et à partir de ce moment Ruth compte un soutien de plus dans la maison des Benson.

Ce personnage de Sally est un des plus intéressans et des plus originaux du livre. Nous l’avons tous vu dans notre enfance, il y a quelque vingt ans, lorsque, en dépit de deux révolutions, les vieilles mœurs de la France se conservaient encore dans quelques familles, au fond de provinces où depuis la civilisation a passé. Aujourd’hui