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pages, est charmant comme une matinée d’avril avant les dernières gelées.

Ainsi exclue du seul asile qui lui fût ouvert, privée de l’unique protection sur laquelle elle put compter, l’asile et la protection de sa revêche maîtresse, Ruth se tourne naturellement vers M. Bellingham, qui se trouve devenu son seul appui ; et comme M. Bellingham ne peut être un tuteur désintéressé, qu’il n’en a ni la force ni la volonté, l’œuvre de séduction commencée est bientôt complète. Les deux amans vont cacher leur bonheur dans le pays de Galles, bonheur mêlé d’ennui chez M. Bellingham, d’appréhensions chez Ruth. Peu à peu M. Bellingham commence à être moins aimable ; sa nature sèche, égoïste, qui ne se révélera que plus tard, après la première fleur et les grâces de la jeunesse, se trahit par instans. L’ennui, l’inévitable ennui, ce terrible châtiment des liaisons illicites, le tourmente ; par momens il demanderait presque à Ruth de l’amuser. « Savez-vous jouer aux cartes, Ruth ? » Et sur la réponse négative, de Ruth, il devient maussade et plus ennuyé que jamais. Avec le caractère que l’auteur a donné à M. Bellingham, le dénoûment de la première partie de l’histoire serait même probablement le plus vulgaire et le plus commun de tous : ce serait l’abandon brutal, si un accident imprévu ne venait donner, à la destinée de Ruth une autre direction. M. Bellingham tombe malade ; l’hôtelier du pays de Galles chez lequel il loge avertit sa mère ; mistress Bellingham arrive en toute hàte, et remplace au chevet du lit de son fils la pauvre Ruth, obligée dès lors de s’enfermer et de vivre cachée. Cependant une nuit celle-ci n’y tient plus ; elle sort sans bruit de sa chambre, erre silencieusement le long des corridors, s’arrête palpitante à la porte de son amant, se rencontre face à face avec mistress Bellinghal, et sans préambule, tremblant de tous ses membres, laisse tomber ces paroles : Comment va-t-il, madame ? Ces paroles, si passionnées dans leur simplicité et leur gaucherie sans artifice, sont une révélation soudaine pour mistress Bellingham, qui, quelque temps après, dès les premiers jours de la convalescence de son fils, se hâte de l’enlever aux maléfices et aux sortilèges de Ruth, laissant après elle, pour la jeune fille, avec une lettre insultante, le don plus insultant encore d’une somme d’argent, prix raisonnable, pense-t-elle, de son déshonneur.

Ruth, abandonnée encore une fois, rencontre un protecteur dans un pauvre ministre dissident, M. Benson, alors en voyage dans le pays de Galles, un gentleman contrefait, d’une extrême faiblesse physique, d’une nature morale timide à l’excès, animé de l’esprit de douceur de l’Evangile beaucoup plus que de l’implacable justice de la bible, et qui, de tous les attributs de Dieu, ne comprend guère que l’infinie miséricorde et l’infinie bonté. Avec lui demeure sa sœur,