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les langues en venant au monde, connaissent d’avance les mœurs de tous les pays, mangent de toutes les cuisines, font dix lieues à pied sans se fatiguer, et gravissent tranquillement les pics les plus élevés des quatre parties du monde, en portant l’ombrelle de leur maîtresse d’une main et en tenant un roman de l’autre. Depuis environ six mois, Cécile était revenue de voyage ; restée seule à Paris par suite du départ de sa mère, qui avait accompagné le marquis de Bellerie, envoyé en une lointaine mission diplomatique, Cécile avait décidé qu’elle irait passer sa campagne d’été au château de Moret, qui était devenu sa propriété, et c’est alors qu’elle avait pensé à revoir son amie d’enfance. Comme elle l’avait annoncé par sa lettre, elle lui donnerait huit juins entiers.

— Quel bonheur ! s’écria Adeline en frappant dans ses mains.

— Si ma présence dans la maison devait causer le moindre dérangement, dit Cécile, il faudrait me prévenir ; je continuerais ma route vers Moret, où miss m’attend.

Miss, c’était la gouvernante anglaise. Au moment où la fille du sabotier cherchait à rassurer Cécile, elle fut interrompue par la Madelon, qui venait lui demander où elle devait déposer les affaires de la dame.

— Pourquoi nous interrompre ? dit Adeline avec impatience.

— Ne te fâche pas, mademoiselle, répondit la servante, mêlant à la fois la familiarité au respect. C’est M. Protat qui m’a dit de venir te demander cela.

— Mettez les malles et les paquets de madame, reprit Adeline, dans la chambre du pensionnaire.

— Bon, dit Madelon, on y va. À propos, le souper sera prêt dans dix minutes. Il faut compter que M. Lazare sera peut-être bien revenu.

— S’il n’est pas de retour, on ne l’attendra pas, dit Adeline.

— On n’attendra pas M. Lazare ? exclama Madelon d’un air profondément surpris ; mais, sur un rapide coup d’œil que lui lança sa jeune maîtresse, elle se retira, sans ajouter d’autre commentaire. Demeurée seule avec Adeline, son amie lui reprocha doucement son petit mensonge. — Voici déjà quelqu’un qui va se trouver gêné à cause de moi.

— Qui donc ? fit Adeline.

— Mais cette personne dont tu parlais.

— Ah ! le pensionnaire ?

— Oui, ce… monsieur, qu’on appelle… comment ? un nom assez joli.

— Tu trouves ? dit Adeline.

— Et toi, tu ne trouves pas ? continua Cécile en souriant.

Comme la causerie reprenait une autre direction, elle fut inter-