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maintenant, dans l’état présent de son esprit, ne lui représentait pas autre chose que l’image de quatre murailles, entre lesquelles elle pourrait se cacher et pleurer tout à son aise, loin des yeux et des remarques d’un monde Indifférent et méchant, mais où ne l’attendaient ni bienvenue, ni tendresse, ni larmes sympathiques.

« A deux minutes de distance peut-être de sa maison, elle fut arrêtée dans sa course impétueuse par un léger attouchement, et se retournant à la hâte, elle vit un petit garçon italien avec sa pauvre boite, contenant un rat blanc ou quelque autre chose de semblable. Le soleil couchant jetait sa rouge lumière sur sa figure, sans cela son teint d’un brun d’olive aurait paru entièrement pâle, et des larmes étincelaient retenues entre les longs cils de ses paupières ; avec sa douce voix, ses regards supplians et dans son charmante incorrect anglais, il dit :

« — J’ai faim ! j’ai si faim !

« Et, comme pour aider par le geste à l’effet de ce mot solitaire, il montra du doigt sa bouche dont les lèvres étaient blanches et tremblantes.

« Marie lui répondit avec impatience :

« — Oh ! mon garçon, la faim n’est rien, rien du tout.

« Et elle passa rapidement ; mais son cœur lui reprocha une minute après cette dure parole, et alors elle entra précipitamment chez, elle, prit les maigres restes de son repas que contenait le buffet et retourna vers la place où le petit étranger abandonné s’était affaissé sous la poids de la solitude et de la faim à côté de son muet compagnon, marmotte ou rat blanc, il versait des larmes en se plaignant dans une langue étrangère et en poussant d’une voix faible des cris qui semblaient appeler une personne éloignée : Mamma mia !

« Avec l’élasticité de cœur qui appartient à l’enfance, il se leva soudainement en voyant la nourriture que lui apportait la jeune fille, dont la figure douce et bienveillante même au milieu de sa douleur l’avait poussé d’abord à s’adresser à elle. Avec la gracieuse courtoisie de son pays, il la regarda et sourit en lui baisant la main, puis l’accabla de remerciemens et partagea ses dons avec son petit compagnon, son cher gagne-pain. Elle s’arrêta un moment, oubliant la pensée de son propre chagrin à la vue de cette joie enfantine : puis, se baissant et embrassant son joli front, elle le laissa pour retourner une fois encore dans la solitude et dans la douleur. »


Nous ne pouvons multiplier les citations d’un livre où abondent ainsi les épisodes pathétiques et les tableaux douloureux. En regard de ces scènes choisies parmi les plus simples et les moins tristes, nous voudrions toutefois en placer une tout à fait déchirante, afin que l’on put parcourir à peu près cette longue gamme de chagrins. En voici une où apparaît la réalité la plus crue, la nudité du vice, car, nous l’avons dit, mistress Gaskell ne recule pas, comme ses compatriotes, devant certaines peintures, elle n’a aucune hypocrisie de langage, rien du cant et de la pruderie britannique. Il y avait donc autrefois dans le ménage Barton une tante de Marie, sœur de sa mère, jeune fille coquette et légère et qui aimait tant à se promener et à courir,