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de quelque genre qu’elles soient, par cela même il nous reste ou du moins il peut nous rester ce qui a fait la gloire de nos pères, ce qu’ils n’ont pas emporté avec eux dans la tombe, ce qui déjà avait survécu à toutes les révolutions, à la Grèce, à Rome, au moyen âge, ce qui ne tient à aucun accident temporaire et éphémère, ce qui subsiste et se peut retrouver sans cesse au foyer de la conscience, je veux dire l’inspiration morale, immortelle comme l’âme.

Bornons ici cette défense de l’art national. Il y a dans les arts comme dans les lettres et dans la philosophie, deux écoles contraires : l’une tend à l’idéal en toute chose ; elle recherche, elle s’efforce de faire paraître l’esprit caché sous la forme, à la fois manifesté et voilé par la nature : elle ne veut pas tant plaire aux sens et flatter l’imagination qu’agrandir l’intelligence et émouvoir l’âme. L’autre, amoureuse de la nature, s’y arrête et s’attache à l’imiter : son principal objet est de reproduire la réalité, le mouvement, la vie, qui est pour elle la beauté suprême. La France du XVIIe siècle, la France de Descartes, de Corneille, de Bossuet, hautement spiritualiste dans la philosophie, dans la poésie, dans l’éloquence, l’a été aussi dans les arts. Les artistes de cette grande époque participent de son caractère général et la représentent à leur manière. Il n’est pas vrai que l’imagination leur manque, pas plus qu’elle n’a manqué à Pascal et à Bossuet ; mais comme ils ne souffrent point que l’imagination usurpe la domination qui ne lui appartient pas, et qu’ils soumettent ses caprices, ses élans, son impétuosité même au frein de la raison et aux inspirations du cœur, il semble qu’elle est moins forte quand elle est seulement disciplinée et réglée. Ainsi que nous l’avons dit, ils excellent dans la composition et surtout dans l’expression. Ils ont toujours une pensée, et une pensée morale et élevée. C’est par là qu’ils nous sont chers, que leur cause nous intéresse, qu’elle est en quelque sorte la notre, et qu’ainsi cet hommage rendu à leur gloire méconnue couronne naturellement des études consacrées à la vraie beauté, c’est-à-dire à la beauté morale.


VICTOR COUSIN.