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encore dans la cour du Louvre, au pavillon de l’Horloge, ces cariatides de Sarazin, si majestueuses à la fois et si gracieuses, qui se détachent avec un relief et une légèreté admirables. Jean Goujon et Germain Pilon ont-ils rien fait de plus élégant et de plus vivant ? Ces femmes respirent, et elles vont marcher. Prenez la peine d’aller à quelques pas d’ici[1] visiter l’humble chapelle qui remplace aujourd’hui cette magnifique église des Carmélites, jadis remplie des peintures de Champagne, de Stella, de Lahire et de Lebrun, où la voix de Bossuet s’est fait entendre, où Mme de La Vallière et Mme de Longueville ont été vues si souvent prosternées à terre, leurs longs cheveux coupés et le visage baigné de larmes. Parmi les restes qui se conservent de la splendeur passée du saint monastère, considérez la noble statue du cardinal de Berulle agenouillé. Sur ces traits recueillis et pénétrés, dans ces yeux levés vers le ciel, respire l’âme de ce grand serviteur de Dieu, mort à l’autel comme un guerrier au champ d’honneur. Il prie Dieu pour ses chères carmélites. Cette tête est d’un naturel parfait, comme Champagne aurait pu la peindre, et d’une grâce sévère qui rappelle Lesueur et Poussin[2].

Au-dessous de Sarazin, les Anguier sont encore des artistes qu’admirerait l’Italie, et auxquels il ne manque, depuis le grand siècle, que des juges dignes d’eux. Ces deux frères avaient couvert Paris et la France des plus précieux monumens. Regardez le tombeau de Jacques-Auguste de Thou, par François Anguier. La figure du grand historien est réfléchie et mélancolique comme celle d’un homme las du spectacle des choses humaines, et rien de plus aimable que les statues de ses deux femmes, Marie Barbançon de Cany et Gasparde de la Châtre[3]. Le mausolée de Henri de Montmorency, décapité à Toulouse en 1632, qui se voit encore aujourd’hui à Moulins, dans l’église de l’ancien couvent des filles de Sainte-Marie, est un ouvrage considérable du même artiste, où la force est manifeste, avec un peu de lourdeur[4]. C’est à Michel Anguier qu’on attribue les

  1. Rue d’Enfer, n° 67.
  2. Le musée du Louvre ne possède de Sarrazin qu’un très petit nombre d’ouvrages : un buste en bronze de Pierre Ségnier, frappant de vérité, deux statuettes pleines de grâce, et le petit monument funéraire de Hennequin, abbé de Bernay, membre du parlement, mort en 1651, qui est un chef-d’ecuvre d’élégance.
  3. Ces trois statues étaient réunies au musée des Petits-Augustins. Nous ne savons pourquoi il les a séparées. Jacques-Auguste de Thou est au Louvre, et ses deux femmes à Versailles.
  4. François Anguier avait fait un tombeau en marbre du cardinal de Bérulle qui était à l’Oratoire de la rue Saint-Honoré. Il eut été intéressant de comparer cette statue à celle de Sarazin. François est aussi l’auteur du monument des Longueville, qui avant la révolution était aux Célestins, et se voyait encore en 1815 au musée des Petits-Augustins. (Lenoir, p. 103.) Il est maintenant au Louvre. C’est un obélisque dont les quatre faces étaient couvertes de bas-reliefs allégoriques. Le piédestal, orné aussi de bas-reliefs, avait quatre figures de femme en marbre représentant les vertus cardinales.