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confier à moi et te laisser guider par mes conseils, il arrivera un moment où, si tu aimes encore Adeline, tu pourras songer à elle autrement que comme à une sœur, et où Adeline songera peut-être à toi autrement que comme à un frère.

— Mais, dit Zéphyr, qui commençait par se laisser convaincre et trouvait, en écoutant les raisonnemens de Lazare, que cela allait tout seul, qu’est-ce que M. Protat va penser en apprenant tout ça ?

— Ne t’inquiète de rien, laisse-moi agir et parler. Ton maître t’a confié à moi pour tout le temps que je dois demeurer ici : c’est donc à peu près trois mois de liberté que tu as devant toi ; tu pourras travailler à ton aise et commencer à prendre des leçons de dessin avec moi. Quand je retournerai à Paris, je t’emmènerai.

— Et si M. Protat ne veut pas me laisser partir ?

— Encore une fois, c’est mon affaire : je me suis chargé de mener ta barque, tu n’as qu’à te laisser conduire. El maintenant, ferme la boutique, mets le sac au dos, et en route ! Voilà presque une journée que je perds à cause toi ; mais je ne la regrette pas.

Lazare avec son compagnon reprit à travers les gorges des Longs-Rochers la route sablonneuse qui les devait ramener à la maison de Protat, où le trouble régnait depuis l’absence du peintre et du jeune apprenti.

Le matin, environ dix minutes après le départ de ceux-ci, Adeline s’était réveillée. Après s’être habillée en toute haie, elle appliqua l’oreille à la cloison qui la séparait de Lazare, et n’ayant entendu aucun bruit, elle supposa que le pensionnaire dormait encore. Elle sortit alors de sa chambre, et, s’approchant de la porte de Zéphyr, après avoir frappé deux petits coups, elle l’appela à voix basse. N’ayant pas entendu de réponse, elle frappa plus fort et appela plus haut. Comme on ne lui répondait pas davantage, elle commença à s’inquiéter et descendit dans le jardin, pensant que l’apprenti était peut-être allé l’attendre. Ce fut alors qu’elle aperçut la fenêtre de Zéphyr ouverte, et l’échelle appliquée au mur et à la hauteur de cette fenêtre. Son inquiétude se changea en une crainte véritable. Elle appela son père, et lui raconta en deux mots la fuite de l’apprenti et ses soupçons.

— Ce n’est pas possible, dit Protat pour se rassurer lui-même autant que pour rassurer sa fille. Zéphyr est là-haut ; il ne t’aura pas entendue l’appeler. Il dort comme une souche, tu sais bien ! Mais l’échelle est aussi bien là pour monter que pour descendre. Viens me la tenir ; je vais aller réveiller Zéphyr.

Protat monta à l’échelle, et sauta par la fenêtre dans le cabinet de l’apprenti.

— Eh bien ? s’écria la jeune fille.