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Zagreus ou de Sabazius. Une légende surtout prêta merveilleusement à ces représentations commémoratives, ce fut celle de Cérès et de Proserpine. Toutes les circonstances de ce mythe, tous les incidens de la recherche de Proserpine par sa mère, donnèrent lieu à un symbolisme pittoresque qui captiva puissamment l’imagination. On imitait les actes de la déesse, on entretenait en soi les sentimens de joie ou de douleur qui avaient dû successivement l’animer. C’était d’abord une longue procession entremêlée de scènes burlesques, des purifications, des veillées, des jeûnes suivis de réjouissances des courses de nuit aux flambeaux représentant les recherches de la mère, des circuits dans les ténèbres, des terreurs, des anxiétés, puis tout à coup de splendides clartés. Les propylées du temple s’ouvraient : les mystes étaient reçus dans des lieux de délices où ils entendaient des voix, des changemens à vue produits par des machines de théâtre ajoutaient à l’illusion ; des récitations (nous en avons le type dans l’hymne homérique à Cérès) entrecoupaient le cycle de ces représentations. Chaque journée avait ainsi son nom, ses exercices, ses jeux, ses stations, que les mystes exécutaient de compagnie. Un jour c’était une petite guerre ou lithobolie, où l’on s’attaquait à coups de pierres ; un autre jour, on rendait hommage à la Mater Dolorosa (Da-mater achaea) : c’était probablement une statue représentant Cérès en addolorata, une vraie pietà. Un autre jour, on faisait des processions aux lieux voisins d’Eleusis, au figuier sacré, à la mer ; on mangeait des mets déterminés, on pratiquait des rites mystiques dont le sens presque toujours était perdu pour ceux qui les exécutaient. Il s’y mêlait aussi des cérémonies orgiastiques, des danses, des fêtes nocturnes, avec des instrumens symboliques. Au retour, on donnait carrière à la joie ; le burlesque reprenait sa place dans les gephyrismes ou farces du pont. Sitôt que les initiés étaient arrivés au pont du Céphise, les habitans des lieux circonvoisins, accourus de toutes parts pour voir la procession, se répandaient sur la troupe sainte en sarcasmes et en plaisanteries licencieuses, auxquels celle-ci répondait avec une égale liberté. Nul doute qu’il ne s’y joignit des scènes d’un comique grotesque, des espèces de mascarades dont l’influence sur les premières ébauches de l’art dramatique s’aperçoit sur-le-champ. Ces cérémonies, qui renfermaient un symbolisme si vague sous un réalisme si grossier, avaient un grand charme et laissaient une profonde impression ; elles réunissaient ce que l’homme aime le plus dans les œuvres d’imagination, une forme très-déterminée et un sens peu arrêté. Leur vogue dépendait en grande partie de leur belle exécution, et ce fut surtout par leur magnificence que les mystères d’Eleusis effacèrent tous les autres et excitèrent l’envie du monde entier.

Tels étaient donc les mystères. On ne peut dire, qu’ils fussent tout-à-fait mystiques, dans l’acception qu’adopte M. Creuzer, ni tout-à-fait vides de sens, comme le veut M. Lobeck. Il n’y faut chercher ni une révélation supérieure, ni un haut enseignement moral, ni une profonde philosophie. Le symbole y était sa propre fin à lui-même. Croira-t-on que les femmes qui célébraient les Adonies pensaient beaucoup au sens mystérieux des actes qu’elles accomplissaient ? Tout est-il expliqué quand on m’a appris qu’Adonis est le soleil, parcourant durant six mois les signes supérieurs du Zodiaque et durant six mois les signes inférieurs ; que le sanglier qui le fait périr est l’hiver ; qu’il est lui-même,