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et la vive intuition mythologique de M. Ernest Vinet, prouveraient aux détracteurs de l’érudition française que les études mythologiques n’ont rien perdu pour s’être développées un peu tard dans notre pays, et que les efforts du traducteur de la Symbolique pour fonder sur cet important sujet une école meilleure ne sont pas restés sans fruits.

C’est surtout vers les questions relatives au culte et aux mystères que M. Guigniaut a cru devoir diriger les efforts de sa critique. Ces questions en effet sont par un certain côté beaucoup plus importantes que celles qui ont trait aux mythes. La partie purement mythologique des religions anciennes n’avait pour l’antiquité elle-même rien de bien essentiel, rien au moins de dogmatique et d’arrêté. Le même mythe n’est jamais présenté par deux auteurs exactement de la même manière ; chacun conservait à cet égard la liberté de broder à sa guise, et d’assez bonne heure les mythes ne furent plus que des thèmes romanesques que l’artiste taillait et ajustait selon son bon plaisir. Les mystères au contraire paraissent avoir été la partie réellement sérieuse des religions anciennes. Or ce difficile problème des mystères, M. Guigniaut n’a rien négligé pour le résoudre, et de la solution qu’il propose il a fait jaillir mille analogies de la plus haute importance dans l’histoire comparée des religions.

Qu’était-ce donc que ces mystères autour desquels l’imagination, l’esprit de système et la fausse érudition se sont plu à rassembler les nuages ? Qu’était-ce en particulier que ces Eleusinies sur la majesté et la sainteté desquelles l’antiquité n’a qu’une voix ? Le doute n’est plus permis aujourd’hui sur ce sujet ; nous pouvons presque aussi bien qu’un initié décrire les scènes diverses de ce que Clément d’Alexandrie appelle le drame mystique d’Eleusis}, — Rappelons-nous d’abord que le nom de mystère a été emprunté par l’église au langage païen, et ne craignons pas pour en expliquer le sens original de recourir à l’emploi que l’église en a fait ; ne craignons même pas de commettre un anachronisme en songeant aux mystères du moyen âge. Représentons-nous le mystère chrétien primitif, le prototype de la messe ; qu’y trouvons-nous ? Un grand acte symbolique accompagné de cérémonies significatives. Prenons le culte chrétien à une époque plus avancée de son développement, suivons les cérémonies de la semaine sainte dans une cathédrale du moyen âge ; qu’y voyons-nous encore ? Un drame mystique, des rites commémoratifs d’un fait historique ou considéré comme tel, des alternatives de joie et de douleur continuées durant plusieurs jours, un symbolisme compliqué, une imitation des faits qu’il s’agit de rappeler, souvent même des représentations scéniques plus ou moins directes, où le récit divin est rendu sensible aux yeux des spectateurs.

À part l’immense supériorité du dogme chrétien, à part l’esprit de haute moralité qui pénètre sa légende et auquel rien dans l’antiquité ne saurait être comparé, peut-être, s’il nous était donné d’assister à un mystère ancien, n’y verrions-nous pas autre chose : des spectacles symboliques où le myste était acteur et spectateur à la fois ; un ensemble de représentations calquées sur une légende divine et relatives presque toujours au passage d’un dieu sur la terre, à sa passion, à sa descente aux enfers, à son retour à la vie. Tantôt c’était la mort d’Adonis, tantôt la mutilation d’Attis, tantôt le meurtre de