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religieux porte avec lui sa certitude ; il n’est donné à la raison ni de la fortifier ni de l’affaiblir. Il ne sert de rien de chicaner les religions sur les absurdités qu’elles peuvent offrir au point de vue du bon sens : c’est vouloir argumenter l’amour, et prouver à la passion qu’elle est bien peu raisonnable. L’homme fait la vérité de ce qu’il croit, comme la beauté de ce qu’il aime. Si le drame d’Eleusis était représenté devant nous, il nous ferait probablement l’effet d’une misérable parade. Et pourtant douterez-vous de la véracité des mille témoins qui attestent les effets consolans et la puissance morale de ces saintes cérémonies ? Pindare parlait-il sérieusement ou non, quand il disait, des mystères de Cécès : « Heureux qui, après avoir vu ce spectacle, descend dans les profondeurs de la terre ! il sait la fin de la vie. il en sait la divine origine ? » Andocide plaisantait-il à la face des Athéniens quand, pour les exhorter à la gravité et à la justice, il leur disait : « Vous avez contemplé les rites sacrés des déesses, afin que vous punissiez l’impiété et que vous sauviez ceux qui se défendent de l’injustice ? » Le protestant sincère n’éprouve devant les cérémonies catholiques qu’un sentiment d’indifférence ou de répulsion, et pourtant ces rites sont pleins de charmes pour ceux qui depuis leur enfance y ont attaché leurs émotions religieuses. Voilà pourquoi toute expression méprisante ou légère est déplacée quand il s’agit des pratiques d’une religion. Rien ne signifie par soi-même ; l’homme ne trouve dans les objets de son culte que ce qu’il y met. L’autel sur lequel les patriarches sacrifiaient à Jéhova n’était matériellement qu’un tas de pierres. Pris dans sa signification religieuse, comme symbole du Dieu abstrait et sans forme de la race sémitique, ce tas de pierres valait un temple de la Grèce. Il ne faut pas demander raison au sentiment religieux. L’esprit souffle où il veut. S’il lui plaît d’attacher l’idéal à ceci, à cela, qu’avez-vous à dire ?

Pendant que le sceptique professeur de Koenigsberg déployait toutes les ressources de son érudition et de sa critique pour dépouiller les dieux de leur auréole et déprécier le secret des mystères, la science mythologique aspirait de plus en plus à s’asseoir sur la base désintéressée de l’histoire, à égale distance des velléités mystiques de M. Creuzer et des préjugés anti-religieux de M. Lobeck. Buttmann, Voelcker, Schwenck, par la philologie et l’étude des textes ; Welcker, Gerhard, Panofka, par l’archéologie et l’étude des monunens, essayaient de saisir entre ces préoccupations diverses l’exacte nuance de la vérité. Tous ou presque tous s’accordent à reconnaître contre M. Creuzer l’originalité de la mythologie grecque. Tous s’accordent à rejeter ce blasphème, que jamais la Grèce ait été une province de l’Asie, que le génie grec, si libre, si dégagé, si limpide, doive quelque chose au génie vague et obscur de l’Orient. Sans doute, les populations primitives de la Grèce et de l’Italie, comme toutes les branches de la famille indo-européenne, conservèrent dans leurs idées religieuses, aussi bien que, dans leur langue, les traits communs de la race à laquelle elles appartenaient, et cette parenté primitive se reconnaît encore dans l’étonnante similitude de la mythologie grecque et de la mythologie indienne ; mais là n’est point la question, car ces principes identiques, que tous les peuples de la grande race emportèrent avec eux comme leur provision de voyage, se retrouvent également chez les Germains, les Celtes, les Slaves, que l’on ne songe point à placer sous la tutelle