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de la beauté. Gœrres y cherchait les fondemens de son mysticisme ; Schelling ne croyait pas faire diversion à ses écrits de philosophie transcendentale en dissertant sur les dieux de Samothrace. Une nuée de philologues et d’antiquaires cherchaient à ressaisir dans les monumens écrits et figurés de l’antiquité le sens de cette grande énigme, dont le mot est la vie divine de l’univers. Comme résumé de cet immense entassement de faits et de systèmes, s’élevait, de 1810 à 1812, le grand ouvrage où devait se concentrer tout ce premier mouvement d’études mythologiques, la Symbolique du docteur Frédéric Creuzer. Ce fut un grand enseignement et comme une révélation que de voir ainsi pour la première fois réunis dans un panthéon scientifique tous les dieux de l’humanité, indiens, égyptiens, perses, phéniciens, étrusques, grecs, romains. L’élévation soutenue, l’accent religieux si profond, le sentiment des destinées supérieures de l’humanité, qui respirent dans tout le livre, annonçaient qu’une grande révolution s’était accomplie ; et qu’à un siècle irréligieux, parce qu’il était exclusivement analytique, allait succéder une école meilleure, réconciliée par la synthèse, avec la nature humaine tout entière. L’esprit néoplatonicien de Plotin, de Porphyre et de Proclus semblait revivre dans cette grande et philosophique manière d’interpréter les symboles antiques, et l’ombre de Julien dut tressaillir en entendant un docteur en théologie chrétienne relever sa thèse, proclamer que le paganisme pouvait suffire aux besoins les plus profonds de l’âme, et amnistier les nobles intelligences qui cherchèrent, en ce combat suprême, à réchauffer dans leur sein les dieux près de s’enfuir[1].

C’est surtout dans les sciences historiques qu’il est vrai de dire que les qualités d’une manière en sont les défauts, et que ce qui fait la vérité et la force d’un système est aussi ce qui en fait l’erreur et la faiblesse. Cet enthousiasme mystique, premier élan de la philosophie de la nature alors naissante en Allemagne, cette manière sympathique qui signalait un progrès réel dans les études mythologiques, si on la compare aux dissertations froides et sans intelligence de l’école française, devait avoir ses excès et en quelque sorte son ivresse. M. Creuzer a tous les défauts de ses maîtres d’Alexandrie : l’exagération symbolique, une tendance trop prononcée à chercher partout du mystérieux, le syncrétisme quelquefois le plus intempérant. Jamblique à côté d’Hésiode, Nonnus à côté d’Homère, figurent à la même page pour l’interprétation du même mythe. Il semble qu’il n’y ait pas de temps pour M. Creuzer. Il cherche trop haut ses solutions, parce que lui-même il vit trop haut, parce qu’il n’a pas le sentiment de cette vie simple, naïve, enfantine, toute sensuelle et pourtant toute divine, qui fut celle des premières races indo-helléniques. Il faudrait une âme tout enivrée de poésie pour comprendre le ravissant délire que l’homme de la Grèce ressentit d’abord en race de la nature et de lui-même. Habitués à chercher en tout quelque chose de raisonnable, nous nous obstinons à trouver de profondes combinaisons où il n’y eut qu’instinct et fantaisie ; sérieux et positifs, nous épuisons notre philosophie à suivre la trame des songes d’un entant.

La mythologie grecque, envisagée dans son premier essor, n’est que le

  1. Voir Religions de l’antiquité, t. Ier p. 3, et t. III, p. 830.