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reproduit ou tout au moins rendu par d’ingénieux équivalens ; pureté de lignes, finesse de contours, souplesse de modelé, rien n’y manquait. Cette Lucrèce était vivante, ce bras allait frapper : c’était le dessin lui-même. Jamais aucun graveur n’était ainsi entré dans la pensée du maître. Il sentit que s’attacher un tel homme, ce serait doubler sa puissance, et de ce jour naquit entre eux une association que la mort seule devait interrompre au bout de dix années.

Ainsi pour la première fois Marc-Antoine s’était affranchi de toute réminiscence germanique ; soutenu par son modèle, par la nécessité de l’imiter dignement, il s’était élevé à l’unité de style : il ne pouvait rester en si beau chemin. La réflexion, l’étude, et mieux que cela, les exemples, les avis, les corrections du maître, eurent bientôt achevé et consolidé sa conversion. En quelques mois, il était devenu le plus fervent, le plus soumis des disciples de Raphaël, le plus exclusivement pénétré de son esprit, le plus fermement résolu à ne comprendre, à ne sentir le beau que de la même façon que lui ; et pendant les dix années que dura sa mission, il n’eut pas un seul jour d’infidélité, pas une hésitation, pas le moindre retour aux bigarrures de sa jeunesse ; jamais il ne descendit de ces hauteurs poétiques où son maître l’avait entraîné. Toutes ses planches en font foi. Dans cette longue série de travaux, tout n’est pas irréprochable ; son burin n’a pas eu toujours même succès : à côté d’œuvres qui défient la critique, il y en a d’inégales, laissant à certains égards quelque chose à désirer ; il n’y en a pas une où se puisse signaler une déviation systématique, un oubli intentionnel des principes fondamentaux de l’art italien. Mais ne l’oublions point, le premier pas dans cette voie, c’est la Lucrèce. Quand cette planche ne serait pas par elle-même, par son exécution souple et délicate, par la touchante beauté de l’original, une des pièces les plus précieuses de l’œuvre, elle aurait droit à l’attention par la place qu’elle occupe dans la vie de l’auteur. C’est elle qui marque son entrée, son premier pas dans sa seconde manière ; elle est le point de départ de sa grande renommée. M. Delessert, par toutes ces raisons, ne peut manquer, nous en sommes certain, de comprendre la Lucrèce dans sa publication.

Il est une autre planche que nous lui signalerions, si elle n’avait, à plusieurs titres, une notoriété qui dispense de ce soin : nous voulons parler des Grimpeurs (n° 847 du catalogue de Bartsch). Cette pièce considérable est d’un beau burin, d’un dessin très étudié ; elle est en outre un exemple presque unique d’une œuvre de Michel-Ange reproduite par Marc-Antoine : c’en est assez pour qu’elle ne puisse être omise ; mais indépendamment de ces mérites, les Grimpeurs se recommandent par une circonstance toute particulière. La planche est datée de 1510 ; elle a été gravée à Florence dans une halte qu’y