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expression si gracieuse et si touchante, qui nous charment dans les tableaux du maître bolonais ? Non, ce n’était pas le peintre, c’était l’orfèvre dont Raimondi avait suivi et compris les leçons. Francia, ne l’oublions pas, ne fit son premier tableau que vers 1490, quand il avait déjà plus de quarante ans : jusque-là il n’était connu à Bologne et en Italie que comme orfèvre, ou pour mieux dire comme ciseleur et nielleur. Son renom était déjà grand, puisqu’au dire de Malvasia on comptait dans son atelier jusqu’à deux cent vingt élèves à la fois. Longtemps encore il conserva cette vogue, même lorsque, entraîné par sa vraie vocation, il eut presque abandonné l’orfèvrerie pour la peinture ; mais dans sa nouvelle carrière il ne fit point école, ou du moins aucun disciple ne continua franchement ses traditions. La peinture était pour lui une œuvre intime et presque mystérieuse, une sorte de sanctification. Il trouvait dans ses pinceaux, mieux que dans la ciselure et dans ses autres travaux à demi industriels et mondains, la satisfaction des penchans religieux et mystiques qui remplissaient de plus en plus son âme à mesure qu’il avançait dans la vie. C’étaient là des plaisirs qu’il gardait pour lui seul, des secrets qu’il ne pouvait enseigner. Marchant au rebours de son siècle, il commençait à peindre à la façon du Pérugin au moment où celui-ci commençait à vieillir et où la mode allait l’abandonner. Aussi quelle fut sa joie quand il vit descendre d’Urbin, puis de Pérouse, comme un Joas élevé dans le temple, cet enfant, ce Raphaël, qui apportait aux vieux athlètes de la sainte cause le secours du plus merveilleux talent que le monde eût encore vu ! Quel attendrissant spectacle que le vieillard illustre envoyant au jeune homme son amitié et son portrait ! et que dire de Vasari, qui ose nous le montrer mourant comme un envieux vulgaire pour avoir vu à Bologne un chef-d’œuvre de son ami ? Le mensonge fût-il moins manifeste, le peintre bolonais n’eût-il pas prolongé sa vieillesse près de dix ans après le jour où Vasari le fait mourir, sa mémoire n’en serait pas moins à l’abri de cette offense. L’émotion qu’il ressentit devant la sainte Cécile fut un saisissement de respectueuse admiration, et tout au plus poussa-t-il secrètement un soupir à la vue de certaines beautés qui pouvaient exciter ses alarmes.

Il y a donc eu deux hommes en Francia : la postérité ne connaît que le second ; Marc-Antoine n’a été le disciple que du premier. C’est l’art de nieller, ou, pour mieux dire, de graver sur métal, qu’il était venu demander à son maître ; il ne lui emprunta pas autre chose. Bien qu’il ait vécu presque constamment à Bologne jusqu’en 1508, et qu’il ait assisté par conséquent à la grande ferveur de Francia pour la peinture sacrée, il n’en fut pas détourné de ses études spéciales et techniques. De la niellure, il était passé à la gravure proprement