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d’un portefeuille, munie à longs intervalles, qu’à subir derrière une glace l’action d’un jour modéré. Cet usage d’exposer les dessins, déjà assez ancien chez nous, a pris récemment d’heureuses extensions : nous nous en félicitons ainsi que d’un commencement d’arrangement méthodique qui donne à notre collection une valeur toute nouvelle, et en fait, comme il convient, la digne succursale de notre galerie de tableaux ; mais pour exposer des dessins il faut beaucoup d’espace : placés à trop grande hauteur, ils cesseraient d’être visibles. Dans ces vastes salles du Louvre, on a eu beau créer des subdivisions intérieures pour suppléer au défaut de surface des murailles, c’est tout au plus si le quart de la collection a pu être exposée. Et que dire de toutes ces autres grandes collections d’Europe qui ne sont pas exposées du tout ? Que de richesses enfouies ! Les voyageurs les plus libres de leur temps, les moins pressés, ceux qui, dans une galerie, savent le mieux abuser de l’obligeance des conservateurs ou de la facilité des gardiens, ne comptent cependant que par heures le temps qu’ils ont passé dans les cabinets de dessins de Florence, de Milan, de Munich, de Dresde ou de Merlin. Quatre ou cinq heures à feuilleter des portefeuilles, sans compter le temps perdu à les faire ouvrir, ce sont des jours vite écoulés. Puis le lendemain vous partez, et vous voilà séparés de ces chefs-d’œuvre peut-être pour toujours. Les tableaux du moins, les tableaux capitaux de chaque galerie, sont gravés, copiés, on peut presque partout en retrouver un semblant, une image ; il n’en est pas ainsi des dessins : ceux qui vous ont le plus charmé vous échappent comme les autres, et vous n’en emportez qu’un souvenir fugitif et confus. Eh bien ! à l’avenir vous pourrez vous en procurer d’exactes reproductions, vous les aurez chez vous, sous votre main, à chaque instant du jour ! Si mal disposé qu’on soit pour la photographie, il y a certainement là de quoi se réconcilier avec elle.

Mais une objection s’élève : si la photographie réussit à reproduire les dessins, c’en est fait de la gravure. Qui voudra passer sa vie et ruiner sa santé à tailler et retailler une plaque de cuivre, quand, en quelques secondes et sans le moindre effort, on obtiendra les mêmes résultats ? C’est donc la mort de la gravure au burin que votre diabolique invention, la mort de cet art patient et sérieux qui a fleuri si noblement en France, et qui nous a rendu le signalé service non-seulement de traduire et de sauver de l’oubli des chefs-d’œuvre, mais d’en créer à son tour par la puissance et par la variété de ses moyens d’effet. N’est-ce pas assez que la lithographie, l’aqua-tinta, la manière noire, ces nouveautés subalternes et expéditives, lui disputent son vieux domaine et accaparent ces travaux quotidiens et lucratifs qui jadis la faisaient vivre et l’aidaient à soutenir ses grandes