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terre destinée à élever suffisamment le sol, puis au-dessus ils installèrent une voûte. Je les voyais arriver à la suite les uns des autres, chacun portant entre ses mâchoires une petite masse de terre qu’il appliquait, sans presque s’arrêter, au bord saillant de l’ouvrage ; puis il descendait par une espèce de rampe ménagée exprès, et rentrait sous terre par une galerie spéciale. Quelques-uns me semblèrent dégorger sur les matériaux déjà en place un liquide destiné sans doute à les consolider. Pendant tous ces travaux, les soldats me parurent jouer bien évidemment le rôle de chefs et de surveillans. Je les voyais en petit nombre mêlés aux ouvriers, toujours isolés et ne travaillant jamais eux-mêmes. Par moment, ils faisaient avec le corps entier une sorte de trémoussement et frappaient le sol de leurs pinces ; aussitôt tous les ouvriers voisins exécutaient le même mouvement et redoublaient d’activité. En vingt heures, la galerie circulaire se trouva en état de servir ; il est vrai que les parois du bocal en formaient presque la moitié. En même temps le terrain avait été consolidé, sa surface aplanie, et un bouchon que j’y avais déposé était à moitié enterré. Je leur en donnai alors trois autres ; j’y ajoutai successivement une boule de papier très serrée et une grosse boule de mie de pain. Ces divers matériaux restèrent exactement dans la position résultant du hasard de leur chute, et je crus d’abord qu’ils étaient dédaignés par les termites ; mais, ayant renversé le bocal sens dessus dessous au bout de quelques jours, ils restèrent tous en place malgré leur poids. Ils avaient été soudés l’un à l’autre, et je pus reconnaître plus tard, en les ouvrant, que les insectes y avaient percé plus d’une galerie, bien que ce travail de soudure et d’érosion fût parfaitement inappréciable à l’extérieur.

Le travail de mes prisonniers me parut marcher d’abord sans discontinuité ; il se ralentit lorsque les gros ouvrages furent terminés. Au reste, peu de jours leur suffirent pour achever la termitière. À cette époque, mon grand bouchon était presque entièrement enterré, et le terreau avait été élevé au niveau des deux autres, Toute la surface du sol était unie, sans ouverture apparente, et le terreau, qui au commencement de l’expérience était aussi mobile que du sable fin, avait été si bien consolidé, qu’il s’en détachait à peine quelques parcelles lorsqu’on renversait le bocal. Sous cette espèce de croûte, et tout à fait dans le bas, régnait tout autour du bocal une galerie large de 1 centimètre et haute de 1 centimètre et demi environ[1], en forme de demi-voûte, appuyée contre les parois transparentes du

  1. Comme les termites de La Rochelle sont bien plus petits que le belliqueux observé par Smealhman, ces dimensions correspondent à peu près à ce que serait pour nous une galerie circulaire longue d’environ 120 mètres, large de plus de 4 mètres, et haute de 6 à 7 mètres.