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leurs fondemens et qu’il avait fallu reconstruire ou abandonner. Je pus bientôt juger par moi-même de l’exactitude de leurs récits, bien que La Rochelle soit loin d’être aussi complètement envahie que les villes citées plus haut. Ici les termites n’occupent que la préfecture et l’arsenal[1], et parce que depuis quelques années ils n’ont pas fait de progrès bien marqués, les Rochelais semblent croire qu’ils respecteront toujours leurs limites actuelles. C’est certainement une erreur. Vienne une année quelque peu favorable au développement de ces insectes, et la ville entière peut être envahie en une seule saison. Alors les Rochelais déploreront, mais trop tard, l’imprudente sécurité qui leur fait négliger la recherche des moyens propres à détruire sur place ces ennemis, encore cantonnés aux deux extrémités de la ville.

La préfecture et quelques maisons voisines sont le principal théâtre des ravages exercés par les termites. Ici la prise de possession est complète. Dans le jardin, on ne saurait planter un piquet ou laisser un morceau de planche sur une plate-bande sans les trouver attaqués vingt-quatre ou quarante-huit heures après. Les tuteurs donnés aux jeunes arbres sont rongés par le pied, les arbres eux-mêmes sont parfois minés jusqu’aux branches. Dans l’hôtel, appartemens et bureaux sont également envahis. J’ai vu au plafond d’une chambre à coucher récemment réparée des galeries semblables à des stalactites de plusieurs centimètres, qui venaient de s’y montrer le lendemain même du jour où les ouvriers avaient quitté la place. Dans les caves, j’ai retrouvé des galeries pareilles, tantôt à mi-chemin de la voûte au plancher[2], tantôt collées le long des murs et arrivant sans doute jusqu’aux greniers, car dans le grand escalier d’autres galeries partaient du rez-de-chaussée et atteignaient le second étage, tantôt s’enfonçant sous le plâtre quand celui-ci présentait

  1. Ce cantonnement des termites sur deux points parfaitement isolés et situés pour ainsi dire aux deux extrémités de la ville, l’absence de ces insectes dans toute la banlieue de La Rochelle, démontrent jusqu’à l’évidence qu’ils ne sont pas Indigènes dans cette portion du département. Aussi M. Blanchard lui-même accepte-t-il l’importation pour La Rochelle. D’après une note que m’a remise M. Beltrémieux, cette importation aurait eu lieu vers 1780, époque à laquelle les frères Poupet, très riches armateurs, firent construire l’hôtel devenu la préfecture. Des ballots termites venus de Saint-Domingue auraient apporté les termites non-seulement à La Rochelle, mais aussi à Rochefort et sur quelques autres points où les frères Poupet avaient des magasins. Cette tradition s’accorderait assez bien avec la date donnée par M. Bobe-Moreau comme étant celle de la découverte des ténuités à Rochefort, et expliquerait également l’invasion progressive du département.
  2. MM. Edwards et Blanchard ont vu des galeries qui de la voûte des cours descendaient jusqu’à terre sans être soutenues. M. Bobe-Moreau cite plusieurs faits curieux de ces sortes de constructions. Il a vu, entre autres, des galeries isolées construites en arcades ou même jetées horizontalement à la façon d’un pont tube pour atteindre le papier de quelques flacons ou le contenu d’un pot de miel.