Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/798

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

demi-siècle envahissent successivement plusieurs autres villes où on ne les connaissait pas auparavant, infestent les jardins, atteignent les maisons isolées et menacent la contrée entière[1]. Est-il probable que ces insectes soient de la même espèce que les lucifuges qui, conservant dans la Gironde leurs mœurs campagnardes, se seraient faits citadins en Saintonge[2] ? N’est-il pas plus raisonnable d’admettre que le termite de Rochefort est une espèce nouvelle, au moins pour cette contrée, importée par quelque navire de commerce comme l’ont été certaines blattes[3] et venu on ne sait encore d’où, comme pour nous prouver que les voyageurs n’ont rien exagéré en parlant de ce fléau ? Une comparaison rigoureuse d’insectes à tous les états et d’origine bien constatée permettra seule de résoudre ces questions[4].

Quoi qu’il en soit, La Rochelle a subi le sort de Rochefort, de Saintes, de Tonnay-Charente, et, en arrivant dans cette ville, je savais que j’y trouverais ces terribles petits mineurs. Je connaissais déjà ce dont ils sont capables. MM. Audouin, Milne Edwards et Blanchard avaient à diverses époques parcouru la Charente-Inférieure et rapporté au Muséum de Paris des preuves matérielles des dangers que ces ennemis si faibles en apparence font courir aux habitans de ces contrées. Ces savans avaient parlé des toitures et des planchers qui s’étaient écroulés à l’improviste, des maisons minées jusque dans

  1. D’après M. Bobe-Moreau, c’est seulement en 1797 qu’on découvrit pour la première fois des termites à Rochefort, dans une maison située rue Royale et qui était restée longtemps inhabitée. Au moment de la découverte, la plus grande partie des bois de charpente, des boiseries, des meubles et de ce qu’ils contenaient, avait été détruite. Ils se répandirent ensuite dans les maisons voisines. En 1804, leurs progrès n’étaient pas encore bien grands, puisque Latreille se borne à mentionner comme un ouï-dire que te termite lucifuge « avait pendant quelques années inquiété les habitans de Rochefort, s’étant introduit dans leurs maisons. « En 1829, le même auteur tenait un bien autre langage et parlait des grands ravages exercés par cet insecte dans les ateliers et les magasins de la marine. — Règne animal, par Cuvier, 2" édition, t. V.
  2. M. Lucas a rencontré à Alger le lucifuge et le flavicolle. Il n’a trouvé le premier que dans les champs. Le second seul pénètre dans les habitations. Ainsi partout où le lucifuge a été observé dans son pays natal, il a montré des habitudes contraires à celles qu’on observe dans les termites de Rochefort.
  3. Deux espèces de blattes, aujourd’hui très communes chez nous, étaient inconnues des anciens. La blatte orientale, vulgairement appelée noirat ou bête des boulangers, parait être venue du Levant ; la blatte américaine, connue dans les colonies sous le nom de kakkerlac, est passée de l’Amérique méridionale d’abord dans les parties chaudes de l’Asie et de l’Afrique, puis en Europe, où elle infeste la plupart des ports de mer. M. Duméril nous apprend qu’elle a été introduite vers 1802 seulement au Jardin des Plantes, où elle est arrivée dans des caisses de plantes. (Dictionnaire des Sciences naturelles.)
  4. M. Blanchard s’est déjà occupé de ce travail, et nous devons dire que les premiers résultats n’en sont pas favorables à notre opinion ; mais les matériaux dont disposait notre confrère étaient loin d’être complets.