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vie des champs et s’acclimatant dans nos villes, exerce aujourd’hui ses ravages à La Rochelle, à Rochefort, à Saintes et dans les contrées voisines ? A vrai dire, malgré la réponse affirmative émise par quelques-uns de nos confrères les plus spéciaux, cette question nous semble au moins douteuse.

En effet, Latreille, qui fut on des pères de l’entomologie moderne, nous apprend que le termite lucifuge des environs de Bordeaux atteint l’état d’insecte parfait, prend des ailes et émigre dans le courant du mois de juin[1]. D’autre part, un observateur bien moins célèbre sans doute, mais qui a étudié sur place les termites de Rochefort pendant près d’un demi-siècle, affirme que dans cette ville l’émigration a lieu au mois de mars, et que passé cette époque on ne rencontre plus de termites ailés[2]. Pour qui connaît la précision des lois qui règlent le développement des êtres organisés, cette différence de deux mois entre les deux époques de la métamorphose suffirait à faire naître des doutes sur l’identité des espèces, et cela d’autant plus que dans le cas actuel c’est dans la région la plus méridionale que la métamorphose est le plus tardive. Si les observations de Latreille sur le lucifuge des Landes avaient été répétées et confirmées, si M. Blanchard n’avait pas trouvé des mâles ailés dans les termitières de La Rochelle au mois de septembre, le fait que nous venons de rappeler nous semblerait à lui seul devoir résoudre presque la question.

D’autres faits, dont il faut bien tenir compte, viennent encore à l’encontre de l’opinion généralement adoptée. À moins de circonstances très exceptionnelles, on retrouve les mêmes instincts chez tous les représentans d’une même espèce animale. Chez les insectes en particulier, on ne peut admettre que ces instincts varient selon les localités et pour ainsi dire d’une colonie à l’autre. Or, en Provence et dans le Bordelais, les termites se tiennent dans la campagne, et bien loin de poursuivre l’homme dans les villes, ils respectent jusqu’à ses habitations rurales. S’il en était autrement, si dans la Gironde comme au Sénégal et dans la Charente-Inférieure les termites pénétraient dans les chais, rompaient les cercles des tonneaux et occasionnaient la perle des vins, certes les vignerons du Médoc n’auraient pas gardé le silence, et pourtant ils n’ont jamais, que je sache, élevé de plaintes à ce sujet. Or, depuis les temps historiques, les termites n’étaient pas plus dangereux en Saintonge que dans le Bordelais, quand tout à coup ils apparaissent au beau milieu de la ville de Rochefort, gagnent chaque jour du terrain, et dans l’espace d’un

  1. Nouveau Dictionnaire d’Histoire naturelle, 1804.
  2. Mémoire sur les Termites observés à Rochefort, par M. Bobe-Moreau, ancien médecin en chef de la marine ; Saintes, 1843.