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mes côtés, je rencontrai les colonies d’un de ces insectes qui attirent l’attention du naturaliste par la singularité de leurs mœurs, qui semblent créés tout exprès pour rappeler l’homme à L’humilité en attaquant avec succès jusque dans sa demeure ce souverain parfois trop orgueilleux. Grâce aux physales et aux termites, la perte des quelques premiers jours se trouva amplement réparée, et cette campagne, dont j’avais d’abord désespéré, se trouva être en définitive une des plus fructueuses que j’eusse encore faites.

Peut-être un jour parlerai-je aux lecteurs de la Revue des physales et des graves questions d’anatomie philosophique soulevées par leur organisation étrange. Pour aujourd’hui bornons-nous aux termites. On donne ce nom à des insectes appartenant à l’ordre des névroptères, c’est-à-dire que par leurs caractères les plus essentiels ils se rapprochent des libellules bien connus de tous nos lecteurs sous le nom de demoiselles ; mais, pour appartenir au même groupe zoologique, ces insectes n’en sont pas moins de mœurs bien différentes. Les libellules sont essentiellement carnassières. Comme presque tous les animaux de proie, elles passent leur vie dans l’isolement et ne se rapprochent des individus de même espèce que pour satisfaire aux lois de la reproduction. À l’état de larve ou de nymphe, elles habitent le fond de nos étangs et de nos ruisseaux. Là, tapies dans la fange, elles attendent avec patience qu’un insecte, un mollusque ou même un jeune poisson vienne passer à leur portée. Alors elles débandent comme un ressort une arme fort singulière qui représente chez elles la lèvre inférieure. C’est une sorte de masque animé, armé de fortes pinces dentelées et porté par des pièces articulées dont l’ensemble égale la longueur du corps lui-même. Ce masque agit à la fois comme une lèvre et comme un bras. Il saisit la proie au passage et l’amène jusqu’à la bouche. Lorsque arrive le temps de sa métamorphose, la larve se traîne hors de l’eau où elle a vécu près d’une année, grimpe lentement sur quelque plante voisine et s’y suspend la tête en bas. Bientôt le soleil dessèche et durcit sa peau, qui tout d’un coup éclate et se fend. La libellule dégage d’abord sa tête et son corselet : ses pattes, ses ailes encore molles et sans vigueur se raffermissent au contact de l’air ; au bout de quelques heures, elles ont pris toute leur vigueur. Aussitôt la libellule abandonne comme un vêtement usé la peau terne et limoneuse qui la couvrit si longtemps, et, devenue mouche-dragon[1], elle s’élance à la recherche de sa proie. C’est alors que nous la voyons errer autour de ses mares natales, tantôt planant sur place à la façon de l’aigle ou du milan, tantôt décrivant des cercles rapides et s’élançant comme un trait sur quelque malheureux insecte qu’elle saisit et dévore sans arrêter son

  1. Dragon fly, c’est le nom pittoresque que les Anglais donnent aux libellules.