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bouchots, ce sont en général de petites espèces dont la taille ne dépasse guère celle de la sardine. Sans doute il se trouvait parmi elles quelques jeunes individus d’espèces plus grandes ; mais le nombre n’en est pas tel que cette pêche puisse porter grand préjudice à la multiplication du poisson, et il y aurait, ce nous semble, une inutile dureté à interdire aux boucholeurs l’emploi de leur truble. D’ailleurs elle seule et les engins qui en sont l’équivalent peuvent arrêter un petit crustacé connu des naturalistes sous le nom de crangon commun, sous celui de cardon, de crevette sur nos côtes du nord-ouest, et qui porte en Saintonge le nom de bouc. Ce crustacé, moins gros que la chevrette ou bouquet qui figure à l’étalage de Chevet et de ses confrères[1], n’en est pas moins très bon à manger, et son abondance dans la baie de l’Aiguillon le met à la portée des plus pauvres habitans. Ce que nous en avons vu prendre, M. Valenciennes et moi, rappelait ces pêches miraculeuses dont parlent les légendes. Un peu après la mi-marée, notre marin ne faisait qu’enfoncer son filet et le retirait plein. Attendait-il trois ou quatre minutes, la charge devenait si lourde que les bâtons menaçaient de casser. En moins d’une demi-heure, il en eut ramassé plus de cent kilogrammes, et le tout était promis d’avance à une revendeuse pour la somme de 3 francs, moins de 3 centimes le kilogramme ! Quelque inférieur que le bouc soit à la chevrette, on voit que faute de consommation il reste là bien au-dessous de sa valeur réelle. Viennent donc les chemins de fer, et les riverains de l’Aiguillon trouveront une nouvelle source de richesses dans ce crustacé qu’ils dédaignent aujourd’hui[2].


II

À Esnandes pas plus qu’à Chatelaillon je n’avais pu remplir mes tubes, et lorsqu’au retour de ces courses si instructives, si intéressantes d’ailleurs, je retrouvais mes vases vides, l’instinct du zoologiste se réveillait en moi, et mon cœur se serrait. Les branchellions étaient trop rares pour suffire au travail d’une campagne. À grand’ peine ai-je pu m’en procurer cinq échantillons pendant un séjour de plus de deux mois. Heureusement la mer se lassa de m’être sévère, et la terre elle-même apporta son contingent à mes études. Les tempêtes du sud-ouest, qui changeaient l’été en un automne pluvieux et froid, amenèrent jusque dans les eaux de la Saintonge quelques-uns de ces animaux étranges dont fourmillent les mers intertropicales ; à

  1. C’est le palemon à dents de scie, palemon serratus des naturalistes.
  2. Les pêcheurs de Bretagne vendent les palemons 3 francs le kilogramme aux marchands en gros de Paris. Chez les marchands de comestibles, ce crustacé coûte de 8 à 16 francs le kilogramme. N’attribuons aux crangons que le sixième de cette valeur, estimation incontestablement trop faible ; on voit que la pêche de notre marin aurait représenté environ 50 francs sur place, et de 130 a 260 francs à Paris.