Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/784

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en acon et sillonné jusqu’aux premiers bouchots ce grand lac de boue que Wallon a su rendre productif et navigable. Dans cette course, j’ai eu le plaisir de causer quelques minutes avec un descendant du patron irlandais. C’était un simple boucholeur que rien ne distinguait de ses confrères, mais qui n’était pas moins fier de son nom qu’un Montmorency peut l’être du sien. Qui pourrait blâmer cet orgueil ? Ce nom rappelle huit cents ans de services rendus à toute une population qui leur doit le travail et l’aisance. Ce titre de noblesse n’en vaut-il pas bien d’autres ?

Plus tard, avec M. Valenciennes, j’ai parcouru le dédale des bouchots et dépassé leurs ligues. Chargé d’une mission que lui avait confiée le ministre de la marine, M. Valenciennes parcourait le littoral pour étudier sur place les mille questions que soulève le règlement des pêches entières, et ce fut pour moi une véritable fête que de faire cette excursion avec un confrère regardé ajuste titre comme le premier ichthyologiste de l’époque. Partis le soir de La Rochelle et arrivés à nuit close, il nous fallut, faute de place à l’unique auberge d’Esnandes, accepter l’hospitalité du syndic. Ce brave marin nous fit les honneurs de sa maison d’une manière toute patriarcale. Nous passâmes la nuit dans la chambre où couchaient père, mère et enfans. Il est vrai que M. Valenciennes et moi avions chacun notre lit et que ce lit à colonnes et à baldaquin, élevé de deux mètres au-dessus du plancher et entouré de rideaux, pouvait passer à la fois pour une forteresse et pour une alcôve ; mais si les yeux ne pouvaient voir, les oreilles restaient ouvertes, et le sens de l’ouïe nous révéla quelques-uns de ces détails d’intérieur qu’un citadin eût cherché à cacher. Une fois le sommeil venu, notre somme n’en fut pas moins bon jusqu’au moment où retentit l’appel de notre hôte. À quatre heures, nous étions sur la plage. À ce moment, le soleil se levait derrière les alluvions de Niort et de Grip comme il l’eût fait en pleine mer. Ses rayons, rougis par un brouillard de mauvais augure, teignaient les vapeurs suspendues sur les marais, ensanglantaient les moindres flaques d’eau et donnaient aux cailloux que venait de quitter la marée un faux air de charbons ardens qui contrastait avec le froid piquant du matin.

Une barque nous attendait, et, secondés par le flot, nos rameurs nous eurent bientôt conduits au débouché d’un des plus grands bouchots. Là, debout sur son acon, se tenait un pêcheur armé d’une espèce de grande truble. À notre arrivée, la pêche commença. Le marin barrait la sortie du bouchot avec son filet, puis le retirait au bout de quelques instans, et nous dûmes admirer la précision de cette manœuvre, qui, pour être exécutée sans faire chavirer la frêle embarcation, exigeait un vrai talent d’équilibriste. Bientôt nous eûmes passé en revue la plupart des poissons qui fréquentent les