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par bouchot, ou 123,760 francs pour les trois communes. Enfin le mouvement de charrettes, chevaux ou barques employés au transport représentait alors un solde annuel de 510,000 francs ; mais tous ces chiffres sont aujourd’hui beaucoup trop faibles. À l’époque où M. d’Orbigny habitait Esnandes, les bouchots étaient disposés sur quatre rangs seulement ; ils le sont maintenant sur sept, et quelques-uns ont jusqu’à un kilomètre de la base au sommet. Leur ensemble, borné d’abord aux environs immédiats des trois villages dont j’ai parlé plus haut, s’étend aujourd’hui sans interruption depuis Marsilly jusque bien au-delà de Charron, et forme une estacade gigantesque de 4 kilomètres de large sur 10 kilomètres de long.

Par malheur, cet énorme développement a bien entraîné quelques inconvéniens. Naguère encore, un navire poussé par la tempête trouvait un refuge assuré sur ce lit de vase molle, où l’échouage par les plus gros temps était presque sans danger. Tant que les bouchots étaient construits avec de simples piquets, un bâtiment de commerce, une simple barque de pêche les renversait assez aisément et tout au plus faisait quelque avarie en traversant les palissades ; mais à mesure que les bouchots ont gagné la haute mer et se sont l’approchés des parties profondes, il a fallu augmenter leur solidité, sous peine de les voir arrachés ou brisés par la vague, et les modestes pieux de Walton se sont changés en véritables pilotis. Aujourd’hui les barques surprises par le gros temps à mi-marée en dehors des bouchots sont forcées d’attendre que la pleine eau leur permette de passer au-dessus de ces lignes. Agir autrement serait s’exposer à être jeté sur quelque tronc d’arbre qui pourrait crever la coque d’un navire tout aussi bien qu’un rocher. On comprend donc ce qu’il y a de fondé dans les réclamations des marins et des pêcheurs. Les boucholeurs résistent de leur côté, nient ou atténuent les faits, et l’administration, appelée à prononcer entre eux, est, dit-on, quelque peu embarrassée. À nous qui avons vu les lieux, une équitable décision nous paraîtrait facile. Détruire les bouchots d’une manière directe ou indirecte, enlever ainsi à une contrée entière une industrie florissante et qui compte plus de huit siècles d’existence, serait à la fois absurde et inhumain. D’autre part, on ne saurait laisser les boucholeurs envahir la plage entière et transformer le seul havre de refuge que présentent ces parages en une côte hérissée d’écueils ; mais que l’on fasse une trouée au milieu de ces palissades, et tous les intérêts seront sauvegardés. Un chenal de quatre à cinq cents mètres de large serait plus que suffisant. Pour le prix d’une indemnité peu coûteuse, justement allouée aux boucholeurs expropriés, on rétablirait ainsi la communication entre l’entrée et le fond de la baie, que protégeraient comme autant de brise-lames tous les bouchots restés debout.

J’ai visité deux fois Esnandes. Avec M. Sauvé, j’ai fait une promenade