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complètent ces préparatifs de défense, et, pour plus de sûreté, toute ouverture a été solidement murée du côté de la mer. C’est de là en effet que venait le danger, car, protégée par ses marais, Esnandes n’avait guère à redouter que des excursions de pirates, et, trop pauvre pour s’entourer de murailles, elle avait métamorphosé son église en forteresse. Marsilly et quelques autres villages de la côte n’avaient pas d’autres moyens de défense ; mais aucun de ces édifices n’est aussi bien conservé que celui dont je viens de parler.

Du haut du clocher d’Esnandes, on embrasse l’ensemble du pays. Au midi, la vue est arrêtée par les coteaux qui s’étendent jusqu’à La Rochelle, par le petit plateau de Vildoux, dont les anciennes berges gardent encore les « anneaux de fer où s’amarraient les navires du moyen âge. Au nord et à l’est s’étend, comme un grand lac solide, la plaine, que les prairies, les champs, les marais, émaillent de leurs riches teintes. À l’horizon pointent la cathédrale de Luçon, les coteaux de Maillezais et de Fontenay, tandis que Marans et son territoire reprennent momentanément l’apparence de ce qu’ils furent autrefois, et semblent une petite île. À l’ouest, la plage va se fondant avec la mer d’une manière si insensible, que toute limite disparaît, et que l’œil passe, sans s’en apercevoir, de la terre à l’océan. Entre les deux, la vase sert d’intermédiaire, et, sans cesse refoulée vers le fond, elle se tasse, dépasse quelque peu le niveau des marées, se dessèche alors, se consolide, et, bientôt couverte de plantes riveraines, elle ne peut plus être reprise par le flot. C’est ainsi qu’elle avance chaque jour de quelque chose, et menace de combler rapidement ce qui reste de l’ancien golfe. Un brave marin, qui s’était joint au bedeau pour nous faire les honneurs de l’église, nous fit pour ainsi dire toucher du doigt la rapidité de cette invasion. À nos pieds se déroulait une jetée qu’il avait vu construire dans sa jeunesse. Elle marquait alors les limites de la plage, et aux grandes marées les vagues en battaient le talus. Aujourd’hui elle est au milieu des prairies et sert de chemin vicinal. Entre elle et la mer s’étend une zone de 2 kilomètres de large, de 8 kilomètres de long. Voilà ce que la baie a perdu sur ce point seulement et pendant la moitié d’une vie d’homme.

Ainsi placée sur les bords d’une espèce de lac de vase, Esnandes est devenue le centre d’une industrie curieuse qui s’est étendue aux villages de Charron et de Marsilly, mais qu’on ne retrouve peut-être nulle part ailleurs. Nous voulons parler de l’élève des moules. Ces mollusques sont pour les riverains de la baie de l’Aiguillon ce que les huîtres sont pour les habitans de toute la côte, pour ceux de Marennes, de Cancale et de Saint-Vaast, la source d’une aisance générale. L’origine et les développemens de cette industrie, attestés à la fois par la tradition et par d’anciens témoignages écrits, ont été