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en ligne droite, et se rattachant au continent par un isthme fort étroit.

Les changemens que je viens d’indiquer se lisent d’un coup d’œil sur la magnifique carte de MM. Dufrénoy et Elie de Beaumont ; on y voit les alluvions s’enfoncer dans les terres et y dessiner nettement les anciens rivages. Et qu’on n’aille pas croire qu’il s’agit ici d’une de ces révolutions dont le globe garde la trace, mais que la science seule peut révéler. Celle-ci s’est accomplie à une époque comparativement toute moderne, et la géologie n’a fait que confirmer les indications de l’histoire. Ptolémée, qui a connu et nommé la Charente, ne parle pas de la Sèvre[1], et on le comprend aisément. À l’époque où vivait le célèbre géographe, la Sèvre n’était qu’une modeste rivière qui rencontrait la mer à Niort. À mesure que le golfe s’est comblé, elle s’est allongée et élargie ; elle a acquis de nouveaux affluens : elle a fini par mériter le nom de fleuve. Son embouchure a successivement laissé derrière elle bien des îles jadis placées fort en avant, et qui, englobées par les terres, forment aujourd’hui autant de collines semées sur la plaine, comme autrefois sur la mer[2]. Maillezais, Marans, Velluire, Triaise, Maillé, Vildoux et une douzaine d’autres villages ou hameaux étaient entourés d’eau avec leur territoire, et cela au XIIIe siècle[3]. On trouve encore en place sur certains points les pilotis et les anneaux de 1er qui servirent jadis à amarrer les navires. Ce mouvement ne s’est pas ralenti de nos jours. Lorsque Arcère écrivait il n’y a pas tout à fait un siècle, on voyait, vers le nord de la baie, une île formée de roches escarpées et connues sous le nom de la Dive. L’annaliste de La Rochelle remarque que la pointe de l’Aiguillon avançait chaque année, et que dans peu les terres basses auraient atteint ces rochers. Le fait a vite confirmé ces prévisions. Dès 1824, la Dive était au milieu des champs, et la pointe, s’effilant vers le sud, l’avait dépassée de 4 kilomètres[4].

Des faits et des dates que nous venons de rappeler, il semble résulter que le golfe du Poitou a persisté, jusque vers le commencement du moyen âge, à peu près dans l’état où l’avaient laissé les derniers cataclysmes, c’est-à-dire qu’il est resté ouvert aux flots de l’Océan pendant plusieurs milliers d’années, ensuite qu’à partir d’une époque indéterminée1, mais toute moderne, il a commencé à se combler avec rapidité. Si les choses se sont réellement passées ainsi, l’envasement pourrait bien ne pas être la seule cause des progrès actuels du continent. Peut-être faudrait-il rattacher ce fait à un ordre de

  1. Arcère.
  2. A partir de Rochefort, la Charente a grandi de la même manière. De ce point jusqu’à la mer s’étendait un golfe dont un des bras, comme je l’ai dit plus haut, se dirigeait vers le nord et joignait presque la haie d’Aigrefeuille.
  3. Arcère.
  4. Atlas hydrographique de M. Beautemps-Beaupré. Intérieur du pertuis breton.