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vigilante, s’élevait l’île d’Aix, dont le soleil détachait nettement les bastions et les falaises. Entre elle et nous s’étendait à près d’une lieue, et presque au niveau de la mer, le plateau de Chatelaillon, en ce moment animé par la présence de quelques cents pêcheurs de moules, qui, chargés de leur butin, fuyaient à grands pas devant la marée montante. Celle-ci marchait vite sur ce sol à peine incliné, et bientôt nous pûmes juger de ses progrès à l’agitation de la vase. Ici la terre et l’eau se ressemblaient trop de couleur et de consistance pour que l’œil pût les distinguer à d’autres signes que le mouvement. À mesure que la mer montait, on voyait la plaine onduler et se couvrir de longs sillons parallèles ; on eût dit un vaste champ de terre grasse s’agitant de lui-même ou labouré par une invisible charrue. Une tempête sur ce plateau doit être, quelque chose d’étrange ; il doit sembler que la l’alaise est assaillie non par des vagues, mais par des rochers.

La vase qui couvre le plateau de Chatelaillon est loin de représenter, on le comprend sans peine, l’ensemble des terres où s’élevaient les villes et les forteresses des Isambert. Refoulés par les courans, ces débris sont dirigés tout le long de la côte, et partout où une anse quelque peu abritée leur présente un bassin plus tranquille, ils se déposent et augmentent l’atterrissement. Ainsi se sont formées les terres basses et marécageuses de Brouages et du bassin de la Charente à partir de Rochefort, les alluvions placées au fond de l’anse de Fouras, du platain du Ché et tout autour de La Rochelle. Toutes ces alluvions, à peine élevées au-dessus du niveau de la pleine mer, se prêtent admirablement à la fabrication du sel ; aussi le fond de toutes ces anses est-il couvert de marais salans. En outre, des écluses et des canaux conduisent jusque bien avant dans les terres l’eau de mer chargée de ses principes salins, la ramènent vers l’océan aux heures du reflux, et étendent ainsi cette industrie jusqu’aux limites mêmes des atterrissemens.

Les marais salans de Saintonge sont assez curieux à visiter. Etablis sous un ciel moins chaud que ceux du midi de la France, ils ont dû être disposés de manière à suppléer à ce qui manquait de force aux rayons du soleil. Dans cette pensée, on a multiplié les surfaces et compliqué bien plus que dans le Gard ou l’Hérault la distribution des casiers où l’eau vient s’évaporer. Ici chaque marais se compose de sept sortes de chambres distinctes établies à des niveaux différens, de sorte que le liquide puisse aisément passer des premiers jusque dans les derniers. Le marais a la forme d’un grand carré renfermant du côté de la prise d’eau un premier bassin d’un mètre environ de profondeur appelé jard, où l’eau de mer se clarifie par le repos avant de passer dans les conches, où commence