Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/740

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

devient bientôt d’humeur tolérante : elle confirme les dons faits par les Planètes, et y ajoute deux concessions qu’elle sait dépendre exclusivement de sa capricieuse fantaisie, une épouse parfaite et une brillante renommée. — Tel est le bizarre tableau tracé par le poète, et ce tableau, nous l’avons réduit, il faut le dire, aux plus minces proportions. Impérial, poussé par son ardente imagination, entasse dans son frêle cadre, sur la tête du rejeton royal, des excellences presque surhumaines que les plus folles ambitions oseraient à peine imaginer. Il s’y prend d’ailleurs, ainsi qu’on a pu en juger, avec un ordre et un discernement parfaits, et trouve dans son enthousiasme des expressions vigoureuses à force d’être simples et naturelles[1]. Un roi, tel qu’on le rêvait au moyen âge, c’était plus qu’un homme, c’était presque un dieu. Par malheur, cette fois la réalité vint démentir amèrement le rêve trop magnifique d’Impérial. L’assemblage de tant de prodigieuses perfections s’appela… Jean II. Le demi-dieu ne fut pas même un roi médiocre.

Quelques poèmes d’Impérial respirent la galanterie la plus chevaleresque. Il décrit avec un vif sentiment poétique l’infortune de la princesse Angelina, petite-fille du roi de Hongrie, tombée, à la suite d’une bataille, au pouvoir de Timour-Lenk (Tamerlan), et envoyée comme un présent au roi Henri III de Castille par le célèbre conquérant mogol. La maîtresse du comte de Niebla et une belle femme de Séville[2] qu’il désigne par le nom poétique d’Estrella-Diana lui inspirèrent les pensées les plus délicates. Tantôt, provoqué par plusieurs troubadours, il demande à Estrella-Diana, pour la défendre, les armes de sa beauté, et prend de là occasion pour faire une tendre description de ses charmes ; tantôt, appelé par Isabel Gonzalez au monastère de Saint-Clément, où elle s’était retirée, il lui demande, avant d’aller la voir, un sauf-conduit contre les chaînes de ses attraits. « Si je vous vois et vous entends parler, lui écrit-il, il ne sera plus en mon pouvoir de vous quitter… Promettez au dieu d’amour, ou de m’épargner, ou de guérir avec un cœur fidèle les blessures que vous m’aurez faites. » Et tout cela dans un style élégant et naturel qui fait voir que l’auteur avait goûté la noble simplicité de Pétrarque. Quelquefois Impérial avait aussi des velléités philosophiques, mais d’une philosophie légère et maligne. Dans sa jeunesse, il composa un poème Aux sept Vertus[3], qui est la preuve la plus éclatante de l’active influence que la poésie italienne commençait déjà à exercer sur la littérature de la Castille. C’est toujours la forme fantastique d’un songe et d’une vision. L’auteur voit devant lui un jardin plein de merveilles, entouré d’un limpide ruisseau ; soudain il aperçoit

  1. Le vers où il définit la libéralité mérite d’être rappelé pour son tour naïf et original :
    Siempre diga toma, nunca diga dâme.
    « Qu’il dise toujours prends, qu’il ne dise jamais, donne. »
  2. Formosa muger, dit Baena. Il y a lieu de conjecturer qu’elle appartenait aux classes populaires. Impérial lui applique cette charmante comparaison :
    Que en tierra llana è non muy labrada
    Nasçe à las veses muy ollente rrosa.
    « Parfois on voit naître une rose odorante dans un champ rustique et presque sans culture. »
  3. De la mi hedat non ann en el ssomo.