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et l’électeur de Saxe pouvait à fort bon droit demander compte des jours du jeune général, son ami et son compagnon, nuitamment escamoté dans les oubliettes du palais de Hanovre ! Cependant, vis-à-vis du fait accompli, le mieux était de garder le silence, et, puisqu’on ne pouvait plus empêcher le crime, d’en effacer la trace à tous les yeux. Mme de Platen se chargea de ce soin. Sans froncer le sourcil, sans pâlir, cette infernale créature ramena les assassins autour du cadavre de son amant ; de la même main blanche et rose dont elle avait quelques heures auparavant préparé le breuvage destiné à porter l’ivresse dans le sein de ces bandits, elle épongea le sol, elle essuya le sang répandu, et, par ses ordres, le corps de l’infortuné Kœnigsmark, recouvert d’une couche de chaux, fut enseveli, les uns disent sous la pierre de la cheminée de la salle des Chevaliers, les autres dans une fosse creusée au fond du parc.

Pendant la nuit du crime, la princesse et Mlle de Knesebeck avaient bien entendu comme un cliquetis d’épées du côté de la salle des gardes ; mais, le bruit n’ayant duré qu’un moment, leur frayeur s’était presque aussitôt calmée, et la première crainte un peu sérieuse touchant le sort de Kœnigsmark leur vint quand elles aperçurent le lendemain, à une heure déjà avancée de la matinée, deux domestiques du jeune comte rôdant aux alentours du palais, comme s’ils eussent attendu quelqu’un. Sophie-Dorothée, émue et troublée, se perdait en conjectures ; elle apprit enfin que M. de Koenigsmark avait disparu et qu’on venait de s’emparer de tous ses papiers.

On devine quelle Némésis implacable dirigea les investigations. Profitant de toutes les facultés que donnaient à sa haine les pouvoirs discrétionnaires qu’elle avait arrachés à la faiblesse de l’électeur, Mme de Platen força les tiroirs, fouilla les cassettes et les armoires, et tandis qu’elle choisissait avec l’instinct de la vengeance tout ce qui pouvait appeler le soupçon sur la malheureuse victime qu’il lui restait encore à torturer, la fourbe créature avait soin d’anéantir, à mesure qu’elle les rencontrait, chacune de ses propres lettres à Kœnigsmark. Par une chance heureuse, rien de ce qu’on trouva n’était de nature à compromettre l’honneur de la princesse. La véritable correspondance, celle qui contient le secret de ces romanesques amours, ne devait être découverte qu’environ un siècle et demi plus tard. Philippe, en prévision des dangers qui le menaçaient, l’aurait, à ce qu’il paraît, confiée à sa sœur Aurore, laquelle à son tour la remit à une parente, Mlle de La Gardie. Les lettres saisies chez Kœnigsmark n’entachaient, donc aucunement les relations qui avaient existé entre lui et la princesse. Les seuls motifs que la malveillance y put exploiter (et elle ne négligea pas de s’en servir) étaient diverses récriminations amères dirigées contre le père de Sophie-Dorothée, le duc