Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/685

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en montrant le billet qu’il venait de recevoir. Alors la dame de compagnie entra chez son altesse, qui, tout en reconnaissant que cette écriture n’était point la sienne, ordonna néanmoins qu’on introduisit le comte.

Cette lettre, faut-il le dire ? était l’œuvre infernale de la comtesse. Elisabeth avait imité la main de Sophie-Dorothée, puis confié son écrit aux soins d’un page de Kœnigsmark qu’elle avait gagné par son or, d’autres disent par ses caresses ! Ingénieuse en ses machinations, exacte en ses calculs, l’horrible femme guettait de l’œil l’événement. Informée de l’heure où le comte rentrerait, elle s’était postée sur une terrasse du château, et de là ses yeux de furie venaient, à travers le masque, de le voir s’acheminer vers l’appartement, de sa rivale. Lorsqu’elle jugea le moment opportun, Mme de Platen se rendit chez l’électeur, et lui dénonça le flagrant délit de haute trahison. Ernest-Auguste signa l’ordre d’arrêter le coupable ; puis, comme il hésitait à le donner, l’implacable favorite le lui arracha des mains. Aussitôt toutes les issues du palais furent occupées ; au dehors, de fortes patrouilles circulèrent avec injonction de s’emparer de quiconque tenterait de sortir, et, pour assurer l’entière exécution de ses desseins, la comtesse prit avec elle et sous son commandement spécial une escouade de cinq hommes résolus ayant à leur tête un sergent aux gardes, lesquels devaient arrêter la personne que Mme de Platen leur désignerait. Ainsi accompagnée, Elisabeth parcourut l’aile du château que la princesse Sophie-Dorothée habitait ; puis, après avoir fait sa ronde, après s’être bien assurée de chaque factionnaire, elle vint avec ses six lansquenets prendre position dans la salle des Chevaliers. Là de nouvelles instructions plus précises furent données, et les gardes s’établirent derrière une porte à gauche de l’immense cheminée gothique qu’on voit encore dans cette vaste et lugubre galerie. Tandis que le bivouac se formait, la sinistre comtesse préparait le punch à ses hommes !

Kœnigsmark se fit longtemps attendre ; la princesse et lui, que n’avaient-ils pas à se dire ! Ils causèrent de leurs projets d’avenir, de leur fuite prochaine et de mille choses encore, si bien que la convocation finit comme toujours par tourner à la plaisanterie, à l’anecdote, aux portraits. Jamais M. de Kœnigsmark n’avait été plus spirituel, jamais cet aimable diseur ne s’était trouvé en meilleure veine d’épigrammes et de bons mots. Le front épanoui, l’œil guilleret, le persiflage au bout des lèvres, ce fut surtout à peindre les fureurs amoureuses de la Platen qu’il excella. Cependant la comtesse agitée, frémissante, éperdue, attendait la sortie du comte. Son pâle visage éclairé des bleuâtres reflets du punch, dont les flammes mourantes s’éteignaient convulsivement, on l’eût prise pour