Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/684

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gardes, et, pour déjouer les soupçons, éviter toute espèce de rendez-vous et d’entrevue.

L’électeur avait reçu froidement à son arrivée l’ancien colonel aux gardes, et lorsque celui-ci, nommé général-major au service de Saxe, avait demandé à rompre son engagement avec le Hanovre, Ernest-Auguste s’était empressé de lui accorder son congé. Cependant Koenigsmark ne quittait point la résidence, et chacun s’étonnait de le voir indéfiniment prolonger son séjour. Que voulaient dire ces éternels retards ? Plusieurs en cherchaient la cause dans les séductions de la comtesse de Platen, dont la flamme venait de se rallumer plus furieuse que jamais. Elisabeth n’avait pu revoir son brillant infidèle sans perdre de nouveau la tête. Cette femme, aussi faible, aussi lâche que perfide, chez qui l’ardeur de la luxure étouffait tout respect de soi-même et toute dignité, ne demandait qu’à pardonner. Elle eût oublié l’affreux outrage dont Kœnigsmark l’avait flétrie au bal devant toute la cour, elle eût oublié ces indignes propos de table tenus sur elle par son amant aux soupers de l’électeur de Saxe, elle eût oublié jusqu’aux coups de cravache, à une condition vingt fois offerte et vingt fois ironiquement repoussée par le hautain colonel. Lasse de voir ses avances méprisées, elle supplia, pleura, demanda grâce ; ses larmes furent baffouées, ses caresses dédaignées. Elle vint gratter à la porte, et la porte ne s’ouvrit pas. Tant d’affronts et d’ignominie eussent tué toute autre femme. Humiliée dans ses amours, Elisabeth se redressa dans sa haine, et de ce jour-là Kœnigsmark fut perdu.

Cependant la réponse du duc de Wolfenbüttel était arrivée, et elle était favorable. Antoine-Ulric, en prince gentilhomme épris du beau sexe et des muses, ne pouvait hésiter à embrasser la cause de l’innocence contre la tyrannie, surtout lorsque cette conduite magnanime lui fournissait l’occasion de jouer un malin tour à ses bons cousins de Hanovre et de Celle, qu’il ne chérissait pas outre mesure. Les choses en étaient à ce point, lorsqu’un samedi soir (1er juillet 1694) le comte de Kœnigsmark, rentrant chez lui, trouva sur sa table un billet contenant ces simples mots tracés à la hâte au crayon : « Ce soir, après dix heures, la princesse Sophie-Dorothée attendra le comte Koenigsmark. » Sans prendre le temps d’examiner l’écriture, sans se demander par qui ce mystérieux message avait pu être apporté là, sans réfléchir à la nuit pluvieuse et sombre, à l’heure avancée, aux embûches de la trahison, Koenigsmark, dont l’insouciance égalait la folle bravoure, rajusta sa toilette, changea son habit d’uniforme contre un vêtement de couleur foncée, prit son manteau et se rendit à l’appartement de la princesse. Mlle de Knesebeck, en le voyant arriver à cette heure, témoigna un grand étonnement, auquel Philippe répondit