Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/682

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moi ! Allez, madame, j’en sais assez, et vous pas plus que les autres n’avez ici le droit de vous montrer sévère !

Insultée publiquement par son époux, repoussée par l’électeur et l’électrice, il ne restait à Sophie-Dorothée d’autre parti que la fuite. Quitter une cour où la vie lui était devenue impossible, retourner dans sa propre famille et chercher sous le toit de la résidence paternelle un asile contre la brutalité et les outrages auxquels elle se trouvait en butte à Hanovre, le soin de son salut ne lui dictait pas d’autre conseil. Elle s’y arrêta et partit pour Celle. Là aussi devait l’atteindre le bras fatal de son ennemie. Cette fuite nocturne de la princesse, quittant le palais électoral comme on s’échapperait d’une prison, ne saisit point Mme de Platen à l’improviste. D’avance la haineuse comtesse s’y attendait, et, dans la prévision de cet événement, elle avait mandé au ministre Bernstorff tout ce qu’il fallait faire pour empêcher le duc George-Guillaume d’accueillir sa fille. « Vous ne manquerez pas de présenter au duc de Celle les choses sous leur véritable point de vue, et de l’informer en détail de tous les méfaits de la princesse avant même qu’elle n’arrive. On laisse à votre sagesse éprouvée et à votre vieille expérience le soin de conduire cette affaire à l’avantage des deux cours. » Il va sans dire que la dépêche était accompagnée d’un riche cadeau, lequel devait naturellement ouvrir les yeux à l’avare diplomate sur le véritable point de vue.

Aussitôt ses instructions reçues, Bernstorff se mit à l’œuvre. Il rédigea, selon l’habitude du temps, un mémoire ex professo, volumineux document tout farci d’extraits de Grotius, dans lequel il faisait habilement ressortir les mille inconvéniens politiques qui résulteraient d’une intervention quelconque du duc de Celle en cette affaire. George-Guillaume trouva l’argumentation convaincante et pensa qu’il était à propos de sacrifier, quoi qu’il lui en coûtât, les sentimens paternels à l’intérêt de la situation. L’infortunée princesse reçut à son arrivée un accueil glacial, et, après deux jours de résidence à Celle, Sophie-Dorothée, en dépit de ses supplications, en dépit des larmes de sa mère, fut renvoyée à Hanovre. La cour était alors à Herrenhausen, maison de plaisance dans le voisinage de la capitale. Instruits du retour de leur belle-fille, l’électeur et l’électrice envoyèrent au-devant d’elle un messager d’honneur qui ne tarda pas à revenir, annonçant la prochaine arrivée de la princesse, dont il avait, à deux lieues de là, rencontré les équipages. À cette nouvelle, tout le monde se précipite aux fenêtres, et le prince George, consentant, sur les instances de sa mère, à se rapprocher amicalement de sa femme, descend au perron pour la recevoir ; mais la fière princesse n’écoute que la voix de son ressentiment : du fond de sa voiture,