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dans mes bras, eh bien ! oui, je l’aime, entends-tu ? et garde-toi de l’approcher, car s’il t’arrivait de toucher à un cheveu de sa tête, lâche vipère que tu es, tu mourrais de ma main.

La princesse était sortie de la chambre ; George, dont la fureur s’exaltait de plus en plus, la poursuivit jusque dans le corridor, et là une scène odieuse eut lieu. Cet homme brutal et féroce, saisissant aux cheveux sa femme, la maltraita indignement ; les plaintes de sa victime, la vue du sang qui ruisselait de ses tempes meurtries et déchirées contre le mur, semblaient redoubler l’acharnement du bourreau. Les deux dames qui accompagnaient la princesse, craignant que George ne tuât sa femme, appelèrent du secours. Les sombres voûtes du château retentirent de leurs lamentations, et ce fut seulement lorsque de toutes parts, attirés par le bruit, les domestiques arrivèrent avec des flambeaux, que ce monstre lâcha sa proie, et, la main encore souillée du sang de la mère de ses enfans, rentra morne et livide dans l’appartement de sa concubine.

La princesse était restée évanouie aux bras de ses femmes, qui la transportèrent inanimée chez elle et la mirent au lit. Une heure après, la fièvre se déclarait, et pendant toute la nuit l’infortunée, dans son délire, crut voir la Barbe-bleue !

Le lendemain, Sophie-Dorothée, s’étant levée, vint demander justice à son beau-père et à sa belle-mère des abominables traitemens de leur fils. L’électrice haussa les épaules, et, tout en promettant de reprocher à George sa vivacité, un peu brusque, tança vertement la princesse pour ses propos inconsidérés, puis tourna les talons et sortit.

— Je suis tout à fait de l’avis de ma femme, reprit l’électeur demeuré seul avec Sophie-Dorothée. Et il commença par adresser à la princesse outragée une paterne admonestation : puis, comme Sophie-Dorothée opposait à ces conseils les griefs légitimes de son honneur de femme et de princesse : — Bon ! poursuivit Ernest-Auguste d’un ton légèrement grivois, il y a tant de manières de se consoler des froideurs d’un mari ! Et vous-même, chère petite, voyons, en cherchant bien, n’avez-vous pas, à l’égard de mon George, quelque péché mignon sur la conscience ?

— Monseigneur, je ne vous comprends pas.

— Bagatelle ! ma fille, à Dieu ne plaise que je songe à vous en faire un crime ! Je trouve, quant à moi, la chose assez naturelle ; seulement un peu plus de mystère dans vos entrevues, de secret dans vos correspondances, c’est tout ce que je vous demande, car en principe la femme se doit garder du scandale. Aimez votre comte suédois tout à votre aise, je n’y vois point grand mal tant que mon fils pourra raisonnablement fermer les yeux sur cette histoire ; mais,