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et que la princesse elle-même avouait ne point connaître. Après maintes divagations nouvelles, on finit cependant par se trouver nez à nez avec une porte, et comme la clé était à la serrure, la princesse dit à Mlle de Knesebeck d’entrer pour demander de la lumière. Voyant sa dame de compagnie hésiter et s’y prendre mal, Sophie-Dorothée mit bravement la main à la serrure, ouvrit et passa la première.

La princesse et ses suivantes se trouvèrent alors dans un riche appartement dont l’aspect solitaire et désert ne laissa point de les intriguer quelque peu. Deux chandelles de cire brûlaient sur un guéridon, et sur un coussin de brocart le Turc Soliman, valet de chambre du prince George, dormait les jambes croisées à l’orientale. Sophie-Dorothée commençait à s’étonner ; tout à coup, derrière la tapisserie, des vagissemens se firent entendre. La princesse allait soulever la portière ; mais Mlle de Knesebeck, qu’une terreur secrète agitait, supplia sa maîtresse de se retirer et de ne point chercher à pénétrer plus avant dans ce mystère.

— Quel enfantillage ! répondit la princesse, dont la curiosité et peut-être les soupçons s’étaient accrus. Puis, écartant la portière de tapisserie, elle entra. Le spectacle qui s’offrit à ses yeux était de nature à mériter en effet toute l’attention de Sophie-Dorothée. Une belle jeune femme était là couchée, son visage pâle accoudé sur un bras d’une délicatesse exquise et dont la blancheur eût défié l’ivoire ; à côté de son lit se dressait un berceau où reposait un gentil nourrisson. Entre le lit et le berceau, un homme était assis, tenant d’une main la main effilée de la jolie convalescente, et de l’autre balançant le poupon dans sa nacelle. O paternité ! ô suave et pudique tableau d’intérieur domestique ! Cet homme, c’était George de Hanovre, l’époux de Sophie-Dorothée ; cette femme, Mélusine de Schulenhourg, sa maîtresse ; cet enfant, le gage de leurs félicités adultères !

À cette vue, la colère, on l’imagine, monta au visage de la princesse ; l’épouse et la mère outragée se révoltaient cette fois. Elle, d’un naturel si doux, si clément, si facile, s’emporta jusqu’à perdre la raison ; son œil étincelait, son geste menaçait, sa voix éclatait en reproches, en récriminations, presque en invectives. D’abord George courba la tête, et le trouble de sa propre conscience l’empêcha de réagir contre l’orage ; mais lorsqu’il s’aperçut de la crise où l’exaspération de Sophie-Dorothée avait jeté sa favorite, lorsqu’il vit Mélusine tomber en syncope et ses joues se couvrir d’une pâleur mortelle, alors sa haine, jusque-là étouffée, se fit jour, et montrant le poing à sa femme : — Va-t-en, furie, s’écria-t-il ; sors à l’instant d’ici, malheureuse ! ta présence la tue ! Est-ce bien à toi de me venir reprocher un pareil crime ? Cette femme que tu viens assassiner jusque