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Sophie-Dorothée, qui l’avait spécialement demandée. Dans cette polka, comme du reste dans plusieurs espèces de mazourkes, il est de règle que chaque danseur ou danseuse, se détachant à son tour, aille engager un des assistans, de sorte que la chaîne, agrandie peu à peu, finit par se composer d’autant de personnes qu’il y a d’invités. L’orchestre exécutait ses plus entraînantes fanfares ; le parfum des fleurs exotiques, mêlé à l’éclat des bougies, aux effluves magnétiques partout répandues, enivrait les sens d’une sorte de délire. Rieuse, bruyante, échevelée, la file des danseurs se déroulait de salons en salons, ramassant ici et là quelques retardataires aussitôt incorporés qu’aperçus.

— Nous sommes au complet, s’écria tout à coup la princesse, qui menait la joyeuse théorie en intrépide Oréade.

— Pardon, madame, répondirent plusieurs voix à la fois, la comtesse de Platen et M. de Koenigsmark nous manquent encore !

Et l’immense guirlande de dérouler ses anneaux à travers tous les méandres de l’hôtel. Ainsi fougueuse et bondissante, ainsi poussée par le souffle embrasé de l’orchestre et du plaisir, la folle bacchanale arrive jusqu’à la chambre à coucher de la comtesse, et, comme la porte n’en était fermée qu’au loquet, on l’ouvre ! — O pudeur ! Les femmes reculent de honte, les hommes se détournent pour ricaner ; quant à l’audacieux Kœnigsmark, son imperturbable effronterie ne se dément pas : il quitte le canapé, se lève, et s’écrie du plus grand sang-froid : — De l’eau de la reine de Hongrie pour Mme la comtesse qui s’évanouit !

Une demi-heure après, le colonel aux gardes était mandé chez le duc-électeur pour y répondre aux plaintes de Mme de Platen, qui l’accusait d’une entreprise violente tentée sur elle pendant le bal. Ernest-Auguste se laissa convaincre par sa favorite d’autant plus volontiers que, dans le cas contraire, il lui aurait fallu la renvoyer, et que monseigneur savait parfaitement qu’il ne pouvait se passer de cette femme. Dès le lendemain, le comte de Kœnigsmark annonça qu’il se rendait à Dresde pour assister à l’avènement au trône électoral du prince Auguste de Saxe, son meilleur ami. Du reste, le voyage ne devant pas se prolonger au-delà de quelques semaines, le colonel aux gardes n’emmena avec lui qu’une partie de ses équipages.

À Dresde, Kœnigsmark trouva son ancien compagnon de plaisirs occupé à la fois des funérailles de son frère, auquel il allait succéder, et de son propre couronnement. À peine délivré de ces premières tribulations du pouvoir souverain, Frédéric-Auguste fut tout entier à la joie de recevoir son ancien ami, auquel il donna un régiment avec le titre de général-major. Dès ce moment, on ne s’occupa que de plaisirs ; les petits soupers se multipliaient dans la résidence de Moritzbourg,