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belle raison pour m’abandonner, moi, qui sacrifie rois et tout le monde ensemble pour être avec vous ! Soyez persuadé que tous les périls les plus terribles, et la mort même si je la voyais devant mes yeux, ne me feront jamais venir la pensée de m’éloigner de vous. Je peux sans chimère me flatter encore de passer un jour ma vie avec vous ; grand Dieu ! si je perdais cette espérance, le moyen de résister à tant de malheurs ? Il n’y a que cela qui me soutient. »

Quant à la nature des relations qui existèrent entre le comte Philippe-Christophe de Kœnigsmark et sa Léonisse[1], je crains bien qu’après avoir lu les billets qui suivent, il soit difficile de conserver quelques illusions.

De Philippe à Sophie-Dorothée.

« Demain au soir, à dix heures, je suis au rendez-vous. Le signal ordinaire nous fera connaître : je sifflerai de loin les Folies d’Espagne. »

Du même à la même.

« Vous m’avez imposé une loi qui me sera difficile à tenir, c’est d’être toute la journée sans vous voir ; mais puisque vous le voulez, il faut obéir. J’espère pourtant que vous me donnerez la permission de venir ce soir chez vous, ou je vous donne rendez-vous chez moi. Vous ne trouverez personne levé. Entrez-y hardiment, sans craindre rien. »

Du même à la même.

« Il faut que je vous confesse que j’ai fait un choix ici ; ce n’est d’une belle fille, mais d’un ours que j’ai dans ma chambre, et qui est nourri par moi dans la vue que si vous me manquez de foi, je lui avancerai mon sein pour en tirer le cœur. Je lui apprends ce métier avec des moutons et des veaux ; il ne s’y prend pas mal. »

Du même à la même.

Jeudi, deux heures après minait

« Votre procédé n’est guère obligeant, vous donnez des rendez-vous pour laisser mourir de froid ceux qui attendent. Sachez que j’ai été depuis onze heures et demie jusqu’à une heure à attendre dans les rues. Je ne sais que croire. Mais peux-je plus douter de votre inconstance, après en avoir éprouvé si fort ? Vous n’avez daigné à me regarder de tout le soir ; n’avez-vous pas évité exprès de jouer avec moi ? Vous voulez être débarrassée de moi : je serai le premier à m’éloigner de, vous. Adieu donc, je pars demain pour Hambourg ! »

De Sophie-Dorothée à Philippe.

« La confidente et moi ne faisons que parler des moyens de vous faire venir. Je vous écris toutes les difficultés que j’y trouve. Je le souhaite avec la dernière passion. »

  1. « Léonisse, c’est un nom que je veux vous donner ; c’est au charactère d’une femme incomparable, et si vous êtes curieuse de la savoir. Lisez le roman : Duc de Bourgogne, prince de Tarente. » (Lettre de Koenigsmark à Sophie-Dorothée.)