Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/67

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

religions, les coutumes locales, les contrastes de l’Inde et des pays voisins, ce sont là de curieux sujets qu’il y a quelque charme peut-être à traiter dans le pêle-mêle où ils s’offrent d’ordinaire au voyageur européen.

Vous touchez la rive ; un palanquin vous attend, et un interprète empressé vous invite à y prendre place. Voilà l’Inde moderne, telle que l’ont faite l’occupation anglaise et les grands steamers qui sillonnent incessamment les mers. Sur cette terre où tout vous surprend, vous n’étonnez personne. — Tandis que vous êtes bercé dans cette litière comme un patricien de l’ancienne Rome, un mendiant qui vous étourdit de ses plaintes, demande l’aumône au nom d’Allah ! Vous avez reconnu l’Inde du moyen âge, l’Inde des Mogols, que l’islamisme a couverte comme un flot immense et terrible. — Les porteurs de palanquin se jettent brusquement de côté ; ils se rangent par respect pour un taureau aux cornes dorées à qui de vieux brahmanes offrent de l’herbe fraîche, et dont les jeunes filles caressent le dos bossu. Ce taureau, c’est l’emblème du sivaïsme ; vous avez retrouvé l’Inde antique, celle dont la langue et les mythes se perdent dans la nuit des temps. Trois époques, trois civilisations, trois croyances sont aux prises sur ce sol mystérieux. Au-dessus de cette foule bigarrée, qu’agitent tant de pensées diverses, s’élèvent les clochers, les minarets et les pagodes. La flèche du temple chrétien pointe au milieu des airs, et va droit au ciel ; au bruit de la cloche qui résonne, douce et vibrante, vous songez avec émotion à l’éternelle jeunesse du christianisme, qui étend chaque jour ses pacifiques conquêtes. Du haut des balcons suspendus autour des minarets, le muezzin aveugle invite à la prière les musulmans fatalistes, écho lointain et affaibli de l’appel du prophète aux peuples de l’Arabie. Sous les portiques des pagodes, autour des étangs sacrés, s’ébattent et courent des animaux privilégiés, oiseaux et quadrupèdes, que les Hindous révèrent comme des images de leurs dieux, et sur le seuil de ces temples voués à l’idolâtrie la conque dans laquelle souffle le brahmane, en se gonflant les joues comme un triton, vous fait rêver à la Grèce antique et païenne.

Dans l’Inde, comme dans l’empire ottoman, comme dans la Perse, pays immenses, combien de peuples divers qui se ressemblent de loin par la coupe de leurs vêtemens amples et flottans ! En y regardant de près, on reconnaît pourtant que la fantaisie et le caractère propre de chacune de ces populations se trahit encore sous cette uniformité apparente. Elles se distinguent toutes par la forme particulière de leurs turbans. Rouler autour d’une tête humaine cette pièce d’indienne grossière ou de fine mousseline, c’est un art qui exige de l’habileté et même du goût. Les gens de la cote de Coromandel, moins raffinés que les habitans de l’Hindoustan, aplatissent le turban sur