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pour maîtresse au prince George au lieu et place de la pauvre Catherine, définitivement répudiée. Attirer chez elle cette élégante et suave enfant, l’enivrer de dangereuses espérances, ce fut pour l’imperturbable matrone l’affaire de quelques semaines. Cette fois, du reste, la parole tentatrice tombait en bon terrain, et chez la rougissante néophyte, tous les désirs, toutes les vanités, tous les vices, étaient à fleur de peau. Ainsi catéchisée, la virginale créature attendit le moment favorable pour attaquer le cœur du prince.

Au retour d’une campagne qu’il venait de faire en Hongrie, George de Hanovre remarqua la belle enchanteresse. Mélusine aussitôt mit dehors toutes les coquetteries qu’elle tenait de la nature et tout ce qu’à l’école d’une Elisabeth de Platen elle avait pu apprendre d’artifices et de sortilèges, — si bien que ce prince débauché, déjà fatigué de sa femme, toujours malade depuis ses secondes couches, n’eut pas grand’peine à se laisser fasciner. George n’était point l’homme des tempéramens et des délicatesses ; lorsque sa passion l’entraînait, il s’y abandonnait avec fougue et rudesse, sans aucun respect des convenances, sans le moindre ménagement des susceptibilités que sa conduite allait blesser. Il afficha donc en public ses nouvelles amours, et l’on vit la timide colombe suivre au galop toutes les chasses et franchir les fossés et les haies avec l’intrépidité d’une guerrière.

Sophie-Dorothée fut bientôt au courant du nouveau scandale qui occupait la ville ; elle se plaignit amèrement à son beau-père. L’électeur de Hanovre ne professait pas une sensibilité bien délicate à l’endroit des doléances de famille ; cependant il aimait fort la paix domestique et se souciait peu d’avoir son gracieux frère sur les bras, ce qui n’eût point manqué d’advenir au cas où la petite, ainsi qu’il appelait sa bru, aurait été porter ses griefs en cour de Celle. Ernest-Auguste enjoignit donc sévèrement à son fils d’avoir des mœurs moins reprochables ; de son côté, l’électrice intervint, et leurs remontrances amenèrent une de ces situations douteuses qu’une apparence de tranquillité rend supportables.

Cette situation se prolongeait depuis quelques semaines, quand il fut question de l’arrivée prochaine à la cour de Hanovre d’un gentilhomme étranger qui venait de s’engager au service du prince électeur. Cet étranger n’était autre que le comte Philippe de Kœnigsmark, l’ancien prétendant à la main de Sophie-Dorothée. C’est à une réception du matin que se fit la présentation du nouveau colonel aux gardes. Toute la cour était réunie, quand on annonça le comte de Kœnigsmark. Philippe avait alors vingt-sept ans ; avec ses longs cheveux d’un noir d’ébène, son œil de feu, son teint légèrement bruni par les voyages, sa moustache retroussée, sa tournure à la Kœnigsmark, il tenait à la fois du grand seigneur et du mousquetaire. Son