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le bonheur ramenait aussi les enfantillages, l’étourderie, le besoin de plaire. Jusqu’alors, Elisabeth de Platen avait régné seule et sans partage ; la jeune princesse, une fois qu’elle eut pris pied, lui disputa fièrement le terrain. Quelles sourdes et menaçantes rivalités en résultèrent, on le devine. Sophie-Dorothée avait pour elle son rang et l’avenir ; mais la comtesse était de fait le véritable pouvoir du moment et la dispensatrice souveraine de tout emploi, de toute faveur.

Elisabeth de Platen avait alors trente-quatre ans, et sa beauté semblait toucher à son apogée, le soir surtout, alors que l’hermine et les diamans en rehaussaient l’opulente splendeur. Quoique ses formes et ses traits n’eussent rien à redouter encore de la lumière du soleil, chez elle on la voyait rechercher de préférence les demi-jours. Ce qui faisait dire aux mauvaises langues (Sophie-Dorothée était du nombre) que la favorite du duc de Hanovre avait le teint endommagé, » et ne réussissait à paraître belle qu’à l’aide du fard et de ces bains de lait qu’elle prenait chaque matin, et qui servaient ensuite au déjeuner des pauvres de la ville. Quoi qu’il en soit, Elisabeth de Meissenberg, à cette époque de sa vie, devait produire sur ceux qui l’approchaient une de ces attractions magnétiques auxquelles on ne résiste pas, même alors qu’on en déteste l’influence. Elle vous fascinait, comme l’abîme vous fascine. Pour arriver au but de ses desseins, pour assouvir ses féroces convoitises, satisfaire ses haines, exercer ses vengeances, ni la ruse, ni l’or, ni le crime ne lui coûtaient Ce que Shakspeare eût fait d’une pareille héroïne, qui oserait l’imaginer ? C’était une lady Macbeth brune, sans préjugés ni fantasmagorie, capable de toutes les fureurs, de tous les emportemens, de toutes les passions d’une reine des temps barbares, mais en même temps une vraie femme du XVIIIe siècle, et qui ne croyait pas aux revenans. Essayez de lui mettre aux mains le sang du roi Duncan, et vous verrez s’il lui arrive de se lever la nuit poursuivie par la tache maudite. Peut-être qu’au moyen âge cette infernale créature aurait été lady Macbeth ; au dernier siècle, elle fut la comtesse Platen, le pire des monstres, celui que le sang ne tache pas, et pour qui tout est dit quand une fois l’eau de rose et de jasmin a passé sur la souillure !

Et c’était avec une pareille femme que Sophie-Dorothée se plaçait dès le premier jour en antagonisme ouvert ! Avant que les rivalités amoureuses ne survinssent, Elisabeth détestait la princesse, et haine implacable, avouons-le, la princesse n’avait rien épargné de ce qui devait immanquablement la lui attirer. Sophie-Dorothée, en sa qualité de femme à la mode, de femme d’esprit, se croyait tout permis et ne ménageait personne autour d’elle. Tête éventée et frivole, un peu par coquetterie, beaucoup par inconséquence, elle égorgillait de la plus galante façon amis et ennemis. Qu’on pense