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deux fois du mouton, et le pain est à discrétion. Le soir, ils prennent encore du thé. Cet ordinaire est sain et suffisant Ils ne sont jamais frappés : les punitions sont la diminution de nourriture, l’emprisonnement dans les ténèbres et les douches {shower baths), châtiment sans danger et qui les trouble beaucoup. Ils sont conduits aux bains tous les quinze jours. Dans cette circonstance, comme quand ils entrent dans l’établissement ou quand ils changent de cellules, on leur met un voile sur la tête, de sorte qu’ils ne voient personne et ne sont vus par personne. Ils sortent de la prison sans connaître le visage d’aucun de leurs compagnons de captivité et sans pouvoir être reconnus par eux.

Je suis entré dans plusieurs cellules, principalement dans celles où se trouvaient des Allemands, qui ont assez rarement l’occasion de converser : dans leur langue. Pour ceux qui ne savent pas l’anglais, cette ignorance est une grande aggravation de leur peine. Plusieurs ont appris l’anglais dans la prison. J’ai demandé s’il y avait des Français parmi les détenus ; j’ai appris avec un certain plaisir qu’il n’y en avait point. Cela m’a confirmé la vérité de ce que m’avait dit le maire de Philadelphie à l’avantage de cette partie de la population étrangère de la ville. Le premier Allemand que j’ai vu était pâle ; il avait l’air inquiet, le regard fébrile. Il n’était là que depuis trois mois. Le commencement est toujours dur. Comme le plus grand nombre, il a appris un métier en prison. Un autre, au contraire, approchait du terme de sa peine. Il paraissait assez jovial. Le travail ne lui plaisait point : Schlecht Arbet, disait-il. Je n’imagine pas qu’il fût bien profondément réformé. Cet Allemand a son père et sa mère à Philadelphie. Les parens ne sont admis que rarement auprès des détenus et seulement sur une permission du directeur. Un troisième, et c’est le seul, m’a assuré de son innocence.

Un Américain était là depuis cinq ans et avait encore deux ans à faire pour avoir volé un cheval, ce qui est le délit d’un grand nombre de détenus. Cette condamnation, après ce que le warden m’avait dit qu’on ne devrait laisser personne ici plus de quatre ans, m’a paru exorbitante, surtout quand j’ai appris qu’un Irlandais n’était condamné qu’à quatre années de solitude pour homicide. On m’explique cette inégalité qui m’étonne en me disant que l’un a été condamné au maximum et l’autre au minimum de la peine. Je n’en suis pas moins dans l’impossibilité de comprendre comment on est puni deux fois plus pour avoir volé un cheval que pour avoir tué un homme.

Après avoir visité encore quelques cellules, j’ai suivi mon guide dans toutes les parties de l’établissement. En marchant, je l’interroge sur la question si controversée de la mortalité et de la folie