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occupés de ces matières, à leur tête je place M. de Tocqueville et M. de Beaumont, tout bien considéré, préfèrent le système rigoureux de Philadelphie. C’est aussi l’opinion de M. Lieber, de M. Moreau-Christophe, du roi de Suède, Oscar Ier, dans son traité des Peines et des Prisons. D’autre part, les adversaires ne manquent pas, et M. Dickens a fait de la misère morale des détenus de Cherry-Hill une peinture fort vive, mais qu’on dit très chargée. Je suis curieux de savoir quelle sera mon impression sur un point si débattu. Je m’achemine donc vers le pénitencier, muni d’une lettre de recommandation pour le directeur. Elle m’est donnée par deux négocians qui sont au nombre des administrateurs de l’établissement. J’apprends que ces messieurs vont tous les dimanches adresser des exhortations religieuses aux condamnés.

Quand on arrive par un temps froid sur le triste plateau de Cherry-Hill, qu’on se trouve en face de cette vaste enceinte de murailles grises surmontée de tours crénelées comme un donjon du moyen âge, et quand on songe que plusieurs centaines d’êtres humains sont là enfermés, chacun dans une cellule, sans voir jamais la figure d’aucun de ses compagnons de captivité, presque toujours seul en face de la pensée de son isolement, on ne peut se défendre d’un grand serrement de cœur. On entre, et l’on se trouve bientôt dans une chambre placée au centre d’un bâtiment en forme de croix, dont les quatre corridors, parfaitement semblables et bordés de deux étages de cellules, se prolongent immenses et vides ; on entend le travail des métiers, le retentissement des marteaux ; on a l’idée d’une caserne, d’une manufacture et d’un cloître. Tandis que j’attends le directeur, un quaker, avec son large chapeau, circule dans les corridors, entrant tantôt dans une cellule, tantôt dans une autre, l’air froid et affairé comme un homme qui fait une ronde de surveillance ; mais respect à cet homme, il fait une ronde volontaire de charité.

Le directeur {warden) m’a promené pendant plusieurs heures dans les diverses parties de la prison. Tout ce qui tient à la tenue de l’établissement, à la nourriture des prisonniers, respire l’ordre et la régularité. Mon guide me semble un homme d’un grand sens et d’une grande modération d’esprit. Il est partisan du système en vigueur dans le pénitencier, il n’en est point engoué. Je l’interroge d’abord sur le temps qu’on passe ordinairement dans la prison. Ce temps est au moins d’un an. Je suis porté à croire, comme je l’ai vu dans les rapports officiels, qu’il faut, pour que le traitement moral auquel la solitude soumet les prisonniers porte des fruits, qu’il ait une certaine durée. D’autre part, une trop grande prolongation de la peine serait terrible. On n’est jamais au pénitencier moins d’une année ; le maximum de la condamnation est douze ans. Selon mon