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eu la bonne fortune de voir un établissement très intéressant, la fabrique de blanc de plomb de M. Wetherel : le carbonate est préparé sous l’eau, de manière à ne pas nuire à la santé des ouvriers. M. Wetherel fait trois tonnes de blanc de plomb par jour et gagne par an 10,000 dollars (50,000 francs). Il a gagné jusqu’à 50,000 dollars (250,000 fr.), mais la concurrence de New-York a réduit ses bénéfices. M. Wetherel produit aussi de l’acide hydrochlorique, du bleu de Prusse, de la morphine, du camphre raffiné et beaucoup d’autres choses : encore un exemple de cette variété d’occupations et d’industries si fréquente aux États-Unis. Outre l’intérêt technique, il y en avait un plus grand pour moi dans les détails caractéristiques que m’offraient cette manufacture américaine et ce manufacturier américain. Ainsi un des ouvriers lisait pendant que le four s’échauffait, comme j’avais vu naguère le batelier de Westpoint, en attendant l’heure du départ, lire un roman de Walter Scott. Le lecteur ne s’est nullement dérangé quand le patron a passé près de lui. Pour M. Wetherel, c’est le type de l’activité scientifique dans un industriel. Après m’avoir tout expliqué avec beaucoup d’empressement et de vivacité, il m’a conduit dans son laboratoire, me disant : C’est ici que je suis heureux, j’essaie ceci ou cela. Puis on porte tout au magasin pour le vendre, et le reste ne me regarde plus. — Il était impossible, en l’entendant parler, de douter de sa sincérité. Évidemment, le plaisir de la recherche l’emporte chez lui sur l’ardeur du gain. M. Wetherel m’a mené voir le gazomètre de Philadelphie, qui est très beau, et celui qu’on construit en ce moment, qui, dit-on, sera le plus grand gazomètre du monde ; puis nous sommes allés visiter les waterworks, c’est-à-dire les appareils établis sur les bords de la Schuylkyll, pour amener de l’eau à Philadelphie par un ensemble de pompes auxquelles on va joindre une turbine de la force de 40 chevaux, qui a coûté 50,000 francs, et qui augmentera le rendement de l’eau de 4 millions de gallons. Nous sommes entrés, pour nous chauffer, chez un employé qui est Gallois. À ce sujet, M. Wetherel m’a dit qu’il y avait à Philadelphie une société de secours pour les Gallois, elle a un fonds de 10 à 12,000 dollars (50 à 60,000 francs) et prête les intérêts de cette somme aux Gallois nécessiteux. L’argent prêté a toujours été rendu fidèlement. Ce sang breton est bon. M. Wetherel, qui lui-même est Gallois d’origine, offrait un jour du bois à une pauvre femme, qui lui répondit fièrement : « Je puis acheter mon bois. » - Vous êtes Galloise, lui dit-il, et c’était vrai. Il racontait, un jour cette anecdote dans un dîner ; un gentleman s’écria : » C’était ma mère. » Ce dernier trait peint bien la société des États-Unis. On aime à voir cette facilité qu’a chacun de s’élever sans rougir de son origine et en réclamant au contraire l’honneur d’un bon sentiment dans une