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la bouche d’un certain personnage l’opinion des universalistes sur le salut accordé sans exception à tous les hommes, et il est pendu pour avoir prêché cette doctrine. On voit que ce ne sont point les mormons qui, comme les quakers, auraient fondé la tolérance religieuse en Amérique.

Les mormons dépouilleront sans doute avec le temps la disposition haineuse et insociable qui les a fait partout détester et repousser. Les anabaptistes, de sanguinaire mémoire, dont le chef avait douze femmes qu’il faisait danser autour du corps de l’une d’elles décapitée de ses propres mains, les anabaptistes de Leyde sont bien devenus les baptistes, qui se distinguent aujourd’hui entre toutes les autres sectes par l’innocence de leurs mœurs et le zèle pacifique de leur apostolat. Les quakers ont commencé par se livrer aux plus étranges folies, et par soulever contre eux autant de haine que les mormons, et depuis longtemps ils ne font plus ombrage à personne. J’imagine qu’il en sera des nouveaux sectaires comme des anabaptistes et des quakers ; dans ce pays, si la liberté individuelle enfante les opinions les plus extraordinaires et les encourage à se produire, le bon sens général et l’intérêt universel les forcent de mitiger ce qu’elles pourraient avoir d’offensif pour la communauté.

On trouve dans le livre des mormons certains passages qui sont évidemment imités de L’Evangile, et Mormon lui-même déclare qu’il est un disciple de Jésus-Christ : « Et voyez, j’ai écrit tout cela sur les tables d’or que j’ai faites de mes propres mains ; et voyez, je m’appelle Mormon, d’après le nom du pays où fut établie la première église après la transgression ; et voyez, je suis un disciple de Jésus-Christ, fils de Dieu[1]. » La religion des mormons semble donc être un christianisme judaïque plutôt que toute autre chose. Les pratiques qui leur sont reprochées ne paraissent pas faire une partie essentielle de leur croyance : probablement le besoin de s’entendre avec les autres états de l’Union les adoucira. Les quakers m’ont conduit aux mormons ; je reviens à Philadelphie.

J’ai le bonheur d’avoir pour me diriger dans mes observations M. Gherard, membre distingué du barreau, et auquel je suis recommandé. Dans chaque ville des États-Unis où je me suis arrêté, j’ai rencontré un ou plusieurs hommes d’un vrai mérite qui ont bien voulu me renseigner, me fournir toutes les indications que je pouvais désirer, se charger de moi pour ainsi dire avec une bienveillance et un empressement que je n’aurais osé espérer. M. Gherard est l’un de ces hommes à qui je dois beaucoup : il appartient, comme M. Sedgwick, comme M. Kent, à cette classe de lawyers qui forme aux États-Unis

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