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La secte qui aujourd’hui attire l’attention à la fois par ses excentricités et ses progrès, c’est celle des mormons. Accusée des opinions les plus subversives de la famille, elle a pris un développement rapide en quelques années, et jouit d’une prospérité toujours croissante. On sait que la secte des mormons a été fondée de notre temps par un fourbe, nommé J. Smith, qui prétendait avoir découvert des tables d’or sur lesquelles la nouvelle loi était écrite, et qui, dit-on, avait trouvé sa religion toute faite dans un roman manuscrit tombé par hasard entre ses mains. Ce Smith fut assassiné dans un des soulèvemens que les mormons provoquaient contre eux partout où ils s’établissaient. Ces soulèvemens étaient coupables sans doute ; mais c’est un mauvais signe pour une religion nouvelle de susciter de pareils troubles dans un pays où les croyances les plus singulières se produisent sans obstacle. Toujours poursuivis et reculant toujours devant l’animadversion des populations déchaînées contre eux, les mormons s’établirent sur le haut Mississipi. Là, ils construisirent un temple de dimensions considérables et d’une architecture très extraordinaire. Assiégés, ils se défendirent jusqu’à ce que le temple fût terminé, et alors ils se retirèrent devant leurs ennemis. Emmenant leurs troupeaux à travers le désert, ils s’arrêtèrent enfin sur les bords du Lac Salé, où ils ont formé une communauté régulière, qui prospère par l’industrie et l’agriculture. Ces sectaires bizarres ont des chemins de fer et des machines perfectionnées ; leur population augmente rapidement par le succès du prosélytisme qu’exercent leurs agens à Londres, à Liverpool et même à Paris : ils auront dans peu atteint le chiffre qui fera un état de leur territoire, et seront alors représentes au sénat et dans l’assemblée législative des États-Unis.

Ici se présentera une difficulté. Il parait que les mormons n’ont pas sur le mariage des idées tout à fait semblables à celles des peuples chrétiens. Les chefs paraissent jouir à cet égard de privilèges qui rappellent trop les anciennes coutumes patriarcales de l’Orient. Il ne se peut guère que dans un pays nouveau, et qui se peuple par l’émigration, le nombre des femmes soit assez grand pour que la polygamie règne généralement. D’autre part, il semble incontestable que, sous un nom ou sous un autre, elle existe à un certain degré chez les mormons. S’il fallait en croire un journal que je lisais l’autre jour, un de leurs principaux fonctionnaires aurait paru suivi d’un cortège de seize femmes, toutes à lui et toutes portant un jeune enfant dans leurs bras. Le privilège de la polygamie est, dit-on, réservé aux saints, c’est-à-dire aux personnages que l’on croit inspirés et qui gouvernent l’esprit des autres mormons.

Utah, le pays qu’habitent les mormons, n’étant encore qu’un territoire, leurs magistrats sont nommés par le gouvernement fédéral.