Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 2.djvu/574

Cette page a été validée par deux contributeurs.

réplique aux acteurs par une de ses lettres les plus spirituelles dont je ne citerai ici que le début, parce qu’elle a été publiée dans ses œuvres : « En lisant, messieurs, la lettre obligeante dont vous venez de m’honorer, signée de beaucoup d’entre vous, je me suis confirmé dans l’idée que vous êtes tous d’honnêtes gens très disposés à rendre justice aux auteurs, mais qu’il en est de vous comme de tous les hommes plus versés dans les arts agréables qu’exercés sur les sciences exactes, et qui se font des fantômes et des embarras d’objets de calcul que le moindre méthodiste résout sans difficulté. » Et l’auteur du Barbier part de là pour donner très complaisamment aux comédiens une leçon de tenue de livres. Puis, après leur avoir enseigné comment ils doivent s’y prendre pour fournir des comptes exacts, il termine ainsi : « Croyez-moi, messieurs, point de cote mal taillée avec les gens de lettres. Trop fiers pour accepter des grâces, ils sont trop malaisés pour essuyer des pertes. Tant que vous n’adopterez pas la méthode du compte exact, ignorée de vous seuls, vous aurez toujours le déplaisir de vous entendre reprocher un prétendu système d’usurpation sur les gens de lettres qui n’est sûrement ni dans l’esprit, ni dans le cœur d’aucun de vous. »

Les acteurs, ne goûtant point cette leçon de tenue de livres que Beaumarchais leur donnait avec tant de complaisance et de politesse, répondirent qu’ils allaient assembler les avocats « formant le conseil de la Comédie, » et « nommer quatre comédiens commissaires pour examiner la chose. » — « Assembler, dit Beaumarchais, tout un conseil d’avocats et des commissaires, pour consulter si l’on doit ou non m’envoyer un bordereau, exact et signé, de mes droits d’auteur sur les représentations de ma pièce, me parut un préalable assez étrange. » Cependant le conseil annoncé ne s’assemblait pas, les mois s’écoulaient, on ne jouait plus le Barbier de Séville. Beaumarchais, n’entendant plus parler ni de son compte, ni de sa pièce, insiste avec plus de vivacité. Les comédiens, mis au pied du mur, implorent l’appui du duc de Duras, qui intervient et prie le réclamant de discuter la question avec lui. Beaumarchais ne demandait pas mieux, il s’empresse d’aller offrir au duc de Duras la même leçon de tenue de livres qu’il avait vainement offerte aux comédiens. Le duc, qui était membre de l’Académie française, se piquait d’aimer la littérature dramatique presque autant que les belles personnes chargées de l’interpréter. Beaumarchais lui écrit :


« Vous vous intéressez trop, monsieur le maréchal, aux progrès du plus beau des arts, pour n’être pas d’avis que si ceux qui jouent les pièces des auteurs y joignent 20,000 livres de renie, il faut au moins que ceux qui font la fortune des comédiens en arrachent l’exigu nécessaire. Je ne mets, monsieur le maréchal, aucun intérêt personnel à ma demande, l’amour seul de la jus-