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être se montreraient peu reconnaissons de son zèle, surtout s’il n’était pas couronné de succès. Ajoutons que Beaumarchais avait alors bien d’autres affaires qui devaient le détourner de se mettre celle-ci sur les bras ; il organisait son expédition d’Amérique, il plaidait encore à Aix contre M. de La Blache, il sortait à peine de son procès en réhabilitation. Faire à la fois la guerre aux Anglais, à M. de La Blache et aux comédiens, c’était beaucoup, même pour un homme aussi guerroyant que lui.

Cependant, dès qu’on avait su qu’il avait cherché à s’occuper des interminables débats de la Comédie et des auteurs, plusieurs des gens de lettres maltraités par la Comédie lui avaient adressé leurs doléances, et, confians dans son habileté, l’avaient supplié de se charger de la cause commune. C’est ainsi que l’auteur du Philosophe sans le savoir, dans un long mémoire adressé à Beaumarchais et retrouvé parmi ses papiers, énumérait ses griefs contre les comédiens avec son style naïf et souvent pittoresque :


« Ce qui a causé, écrit Sedaine, le trouble entre les auteurs et les comédiens jusqu’à présent a été presque toujours la difficulté d’obtenir justice ; les supérieurs n’ont presque jamais entendu qu’une des parties ; le comédien qui va rapporter une affaire triomphe toujours s’il est raisonneur, beau diseur, si, appuyé de son art, il se sert de toutes les expressions que sait employer la soumission la plus étendue ; car, quoique les simagrées qui expriment le profond respect soient en affaire un filet grossier, tous les hommes, quels qu’ils soient, s’y laissent prendre, et une actrice jolie est bien un autre filet.

« Les auteurs sont singulièrement maltraités dans la partie d’intérêt, de ce vil intérêt, comme on l’appelle, afin qu’on n’ose pas en parler. Comment ! il y aura chez mon notaire 1,200 francs en dépôt qui m’appartiennent, et je serai un intéressé de vouloir qu’il me donne mes 1,200 francs tout juste, ou, pour que la comparaison soit plus exacte, nous sommes neuf entrepreneurs d’une même chose dont nous devons partager le profit : huit entrepreneurs s’entendent pour frauder le neuvième entrepreneur, et on l’appellera intéressé parce qu’il veut ce qui est à lui ! Écoutez les acteurs, ils vont verbiager jusqu’à demain, et vous n’avancerez pas d’un pas. Voici ce qu’ils m’ont fait à moi :

« Après que le Philosophe sans le savoir eut eu vingt-huit représentations de suite, je reçus ce qui me revenait. Voici comme ils ont compté :

« De profit net, 60,000 livres, dont, pour le quart des pauvres, 15,000 livres, ainsi reste à 45,000 livres. Comment, pour vingt-huit jours, 15,000 livres de quart des pauvres ! Ils en paient 60,000 livres par an, ce qui fait à peu près 170 livres par jour, et doit être réparti comme frais journaliers, lumières, gardes, etc. — Vingt-huit jours à 170 livres font, je crois, 4,790 francs ; ainsi, pour ce seul article, ils ont enlevé à l’auteur 1,000 livres sur son neuvième. Passons. Les comédiens n’ayant point fait afficher la dernière représentation de ma pièce, je crus avec raison que les représentations suivantes m’appartenaient ; lorsqu’il y en eut un certain nombre, je les demandai au caissier.