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dit sans cesse : Eh ! va donc, la Comédie ; finis-en une bonne fois ; c’est à moi d’engrener, — l’auteur qui est sur le chantier nous crie de son côté : Piano ! la Comédie, piano ! faites-moi durer encore. Tout cela est assez difficile.


SCÈNE TROISIÈME.
LES ACTEURS PRÉCÉDENS, MADEMOISELLE LUZZI.

Mlle  Luzzi. — Eh bien ! messieurs, est-ce que le compliment n’est pas dit ?

Figaro. — C’est bien pis, il n’est pas fait.

Mlle  Luzzi. — Ce compliment ?

Bartholo. — Un maudit auteur m’en avait promis un ; à l’instant de le prononcer, il nous fait dire de nous pourvoir ailleurs.

Mlle  Luzzi. — Je suis dans le secret : il est piqué de ce qu’on a retranché de sa pièce l’air du Printemps.

Bartholo. — Quel air du Printemps ? quelle pièce ? Vous croyez tout deviner, tout savoir.

Mlle  Luzzi. — L’ariette de Rosine dans le Barbier de Séville.

Bartholo. — On a bien fait, mademoiselle ; le public n’aime pas qu’on chante à la Comédie-Française.

Mlle  Luzzi. — Oui, docteur, dans les tragédies ; mais depuis quand ferait-il ôter d’un sujet gai ce qui peut en augmenter l’agrément ? Allez, messieurs, monsieur le public aime tout ce qui l’amuse.

Bartholo. — D’ailleurs est-ce notre faute à nous si Rosine a manqué de courage ?

Mlle  Luzzi, minaudant. — Est-il joli, le morceau ?

Le comte. — Voulez-vous l’essayer ?

Bartholo. — N’allez-vous pas la faire chanter ? Comment veut-on que j’achève mon compliment ?

Le comte. — Allez toujours, docteur.

Figaro, à Mlle  Luzzi. — Dans un petit coin, à demi-voix.

Mlle  Luzzi. — Mais je suis comme Rosine, moi, je vais trembler.

Figaro. — Fi donc ! trembler ! Mauvais calcul, mademoiselle…

Mlle  Luzzi. — Eh bien ! vous n’achevez pas votre petit calembour : la peur du mal et le mal de la peur[1] ?

Figaro. — Ah ! vous appelez cela un calembour ?

Mlle  Luzzi. — Il est vrai que moi qui ai peur de mal chanter, je ressens déjà beaucoup le mal que me fait cette frayeur-là.

Figaro, riant. — Oui, je le crois ; mais vous ne chanterez pas moins pour cela. Vous êtes si bonne, Luzzi, qu’en toute affaire vous n’opposez jamais que des difficultés engageantes.

Mlle  Luzzi. — Il ne tiendrait qu’à moi de prendre cela pour une épigramme.

Le comte. — Sur un talent qui lui est peu familier, Rosine est vraiment timide, elle ; mais vous qui chantez souvent, avouez, friponne, que vous n’avez ici que l’hypocrisie de la timidité. (Mlle  Luzzi prélude gaiement.)

Figaro. — Elle ne changera jamais, cette Luzzi ; chantant, jouant la comé-

  1. Allusion à un jeu de mots du Barbier de Séville : « Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur. »