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y reconnut une restauration originale de l’ancienne comédie d’intrigue, rajeunie, agrandie, renouvelée, et les sifflets de la veille se changèrent en applaudissemens. « J’étais hier, écrit le 27 février 1775 Mme  Du Deffant, j’étais hier à la comédie de Beaumarchais, qu’on représentait pour la seconde fois ; à la première, elle fut sifflée ; pour hier, elle eut un succès extravagant ; elle fut portée aux nues ; elle fut applaudie à tout rompre. » Nous devons avouer que Mme  Du Deffant ajoute : « Rien ne peut être plus ridicule ; cette pièce est détestable… Ce Beaumarchais, dont les Mémoires sont si jolis, est déplorable dans sa pièce du Barbier de Séville. » Le jugement de Mme  Du Deffant ne fut pas ratifié par le public. Du reste, le goût dédaigneux et blasé de la spirituelle correspondante d’Horace Walpole n’était pas très apte à apprécier un genre de comique aussi franc, aussi dégourdi que celui du Barbier, et Beaumarchais pouvait se consoler de n’être point apprécié par elle, car dans la lettre qui suit celle que nous venons de citer, elle ajoute encore ceci : « L’Orphée de M. Gluck, le Barbier de Séville de M. de Beaumarchais, m’avaient été extrêmement vantés ; on m’a forcée à les voir, ils m’ont ennuyée à la mort. » On voit qu’il n’était vraiment pas facile d’intéresser Mme  Du Deffant. Le parterre, qui n’avait point, comme elle, la maladie de l’ennui, se montra beaucoup moins rétif, et, à partir de la seconde représentation, le Barbier ne cessa d’attirer la foule jusqu’à la clôture de la saison d’hiver, c’est-à-dire jusqu’au 29 mars 1775.

On sait qu’il était d’usage autrefois de fermer chaque année les théâtres et spécialement le Théâtre-Français pendant trois semaines, à partir de la Passion jusqu’après la Quasimodo. Il était d’usage aussi au Théâtre-Français qu’à la dernière représentation qui précédait cette clôture, un des acteurs vînt sur la scène adresser au public un beau discours qu’on appelait le compliment de clôture[1]. Beaumarchais, amateur de l’innovation en toutes choses, eut l’idée de remplacer ce discours ordinairement majestueux par une sorte de proverbe en un acte qui fut joué, avec les costumes du Barbier, aux représentations de clôture de 1775 et de 1776. Ce compliment dialogué ne se trouve plus dans les archives de la Comédie-Française, mais il a été conservé dans les papiers de Beaumarchais, écrit tout entier de sa main et copié en double avec une feuille contenant la distribution des rôles. Je ne m’explique pas comment Gudin n’a pas fait figurer ce travail dans l’édition des œuvres de son ami ; il a sans doute échappé à ses recherches, car ce n’est rien moins qu’une petite

  1. Ces discours adressés chaque année au public étaient quelquefois assez étranges. Grimm en cite un où l’acteur Florence disait au parterre : « Messieurs, le goût se conserve parmi vous comme les prêtresses de Vesta conservaient le feu sacré. » Le parterre, qui n’était pas composé de vestales, rit beaucoup de la comparaison. Après 89, les acteurs profitaient quelquefois de l’occasion pour débiter des tirades politiques et patriotiques.