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beaucoup d’autres enfans gâtés de la renommée, c’est surtout là où il s’est trompé qu’il tient à prouver qu’il a eu raison. Au lieu d’avouer la transformation qui est la véritable cause du succès définitif de sa pièce, il affirme avec un aplomb étourdissant qu’il n’y a presque rien changé, et que « le Barbier enterré, dit-il, le vendredi est exactement le même qui s’est relevé triomphalement le dimanche. » C’est tout au plus s’il reconnaît que, « ne pouvant se soutenir en cinq actes, il s’est mis en quatre pour ramener le public. » La vérité est que tout ce qui fait aujourd’hui l’agrément du Barbier, tel que nous l’avons, se trouvait bien dans la pièce à la première représentation, mais s’y trouvait mélangé à une quantité énorme de défauts qui expliquent parfaitement la sévérité du public. Beaumarchais plaçait mal son amour-propre : il voulait faire passer pour l’effet d’une cabale ou d’un caprice du parterre ce qui n’avait été qu’un acte de justice, et il ne songeait point à faire valoir son véritable mérite, mérite rare et dont il y a, je crois, peu d’exemples au théâtre. Il n’est pas commun, en effet, de voir un auteur dramatique ramasser une pièce justement tombée, et en vingt-quatre heures, du jour au lendemain, lui faire subir une véritable métamorphose, refondre deux actes en un, transposer des scènes, faire disparaître tout ce qui est louche ou confus dans les situations et dans l’intrigue, supprimer toutes les longueurs, élaguer ou relever tout ce qui est trivial ou plat dans le dialogue, et transformer ainsi, presque à la minute, un ouvrage médiocre en une production charmante, pleine de mouvement et de verve, où l’intérêt va toujours croissant, et dont La Harpe dit avec raison, dans son Cours de littérature, que c’est le mieux conçu et le mieux fait des ouvrages dramatiques de Beaumarchais. Le Barbier est en effet mieux composé que le Mariage de Figaro, dont les deux derniers actes renferment beaucoup de longueurs, et ne se soutiennent que par des jeux de scène et des jeux d’esprit.

Dans cette rapide transformation du Barbier, Beaumarchais apparaît avec tout ce qui caractérise la période la plus brillante de son talent. Son esprit a toute la force que donne la maturité, et il conserve encore la flexibilité de la jeunesse. Ardent, souple et fécond, les dangers ou les embarras lui font trouver des ressources inattendues ; il sait se plier à toutes les circonstances, et il les dompte en les enlaçant. C’est bien le même homme qui, tout à l’heure dramaturge médiocre, devenait du jour au lendemain, sous l’influence du péril, un polémiste redoutable et brillant. C’est le même homme qui, après avoir mis deux ans à composer tout à son aise une comédie pleine de défauts, en faisait presque un chef-d’œuvre en vingt-quatre heures, sous la pression d’un public mécontent et déçu.

Le canevas du Barbier n’est pas neuf : c’est le thème si connu du