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trop compté sur sa popularité ; il avait abusé en tous sens de sa verve, encombré sa pièce de scènes inutiles, de plaisanteries souvent grossières, qui en gâtaient tout l’agrément, et qui lui donnaient parfois les allures d’une parade. L’échec fut complet. L’auteur s’est plu à constater lui-même ce fait, dans la préface du Barbier, avec l’aisance d’un homme qui vient de faire un tour de force, et qui, du jour au lendemain, a transformé une chute en un triomphe. « Vous eussiez vu, dit-il, les faibles amis du Barbier se disperser, se cacher le visage, ou s’enfuir ; les femmes, toujours si braves quand elles protègent, enfoncées dans les coqueluchons jusqu’aux panaches et baissant des yeux confus, les hommes courant se visiter, se faire amende honorable du bien qu’ils avaient dit de ma pièce… Les uns lorgnaient à gauche en me sentant passer à droite, et ne faisaient plus semblant de me voir. Ah ! Dieu ! D’autres, plus courageux, mais s’assurant bien si personne ne les regardait, m’attiraient dans un coin pour me dire : Et comment avez-vous produit en nous cette illusion ? car, il faut en convenir, mon ami, votre pièce est la plus grande platitude du monde. »

En écrivant cette spirituelle préface du Barbier remanié, qu’il intitule bravement comédie représentée et tombée, Beaumarchais s’amuse aux dépens de la critique et un peu aussi aux dépens du public. Comme

    chais, apparemment séduit par le talent et le succès des Mémoires contre Goëzman, se montre plus indulgent que La Harpe pour le Barbier, non pas tel que nous l’avons aujourd’hui, mais avant qu’il eût été expurgé et remanié par l’auteur. Au moment où la pièce fut interdite une première fois, en février 1774, Grimm, en regrettant cette interdiction, annonce qu’il a lu le manuscrit. « Cette pièce, dit-il, est non-seulement pleine de gaieté et de verve, mais le rôle de la petite fille est d’une candeur et d’un intérêt charmant. Il y a des nuances de délicatesse et d’honnêteté dans le rôle du comte et dans celui de Rosine qui sont vraiment précieuses, et que notre parterre est bien loin de pouvoir sentir et apprécier. » Si ce jugement est de Grimm (car dans la Correspondance publiée sous son nom on n’est pas toujours bien sûr que ce soit lui qui parle), si ce jugement est de lui, il est un peu bizarre, non pas qu’il ne puisse trouver de la candeur dans le rôle de Rosine, mais il y a certainement d’autres nuances aussi marquées, et ce ne sont pas précisément les nuances de délicatesse et d’honnêteté qui pouvaient empêcher d’apprécier le Barbier de Séville. À la vérité, Grimm parlait ainsi d’après le manuscrit primitif en quatre actes, qui vaut mieux que la pièce en cinq actes ; mais le premier comme le second diffèrent notablement de la pièce imprimée, et lui sont de beaucoup inférieurs. Après l’échec de la première représentation, Grimm, toujours bienveillant pour Beaumarchais, s’en prend d’abord à l’auditoire. « Une assemblée si nombreuse et si pressée, dit-il, risque toujours d’être tumultueuse, et le mérite de la pièce, consistant surtout dans la finesse des ressorts qui lient l’intrigue, avait besoin, pour être senti, d’un auditoire plus tranquille. » Il s’en prend ensuite au jeu des acteurs, « qui n’avait pas, dit-il, l’ensemble et la rapidité qu’exige une comédie de ce genre ; » enfin il fait assez équitablement la part de Beaumarchais, « qui avait eu, dit-il, la sottise de vouloir faire cinq actes d’un sujet qui n’en pouvait fournir que trois ou quatre. » Et après avoir signalé la suppression d’un acte, le retranchement de scènes inutiles, de mots déplacés et d’un mauvais ton, il constate le succès de la pièce ainsi remaniée.