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remettre la tête du barbare au magistrat de Shon-tak. C’est ainsi que ce brave tomba dans la fosse. Le même jour, il fut envoyé sous bonne garde à Canton. Là il fut interrogé trois fois dans un jour, et en vertu de l’autorité impériale il fut décapité, afin que les cœurs des barbares fussent satisfaits.

« Est-il possible de respecter un magistrat qui égorge l’innocent ? Les habitans des treize villages voient cependant cette injustice dans un complet silence. Ils oublient que les Sen sont une famille bien connue qui vint ici du district de Siou, dans le département de Chiang, province du Fo-kien. Ils restent les bras croisés comme si tout était dans l’ordre. Ils doivent en vérité avoir quelque peine à se contenir

« Le gouverneur général Ki-ing, dons l’affaire de Houang-chou-ki, avait donné un exemple qu’il fallait suivre[1]. Comment les barbares auraient-ils pu découvrir la ruse. Chacun répète, que son excellence Séou est un homme habile et que son mérite égale son pouvoir ; mais voici la vérité : il craint les étrangers comme s’ils étaient des tigres. Les actes des Portugais ont excité une telle haine, qu’il ne nous est plus possible de vivre sous le même ciel qu’eux. Si nous ne ressentions pas leur conduite, il n’y aurait aucune différence entre nous et les bêtes. Maintenant les Anglais et les Portugais s’entendent pour nous dominer. Heureusement, nous, le peuple, nous agissons avec énergie. Ce qui ne semble encore qu’un léger mal deviendrait bientôt un fléau insupportable. Nous n’avons pas oublié l’assemblée de Wi-chin, où se réunirent les braves de plus de cent villages. Ce furent eux qui défirent les étrangers sous les murs de Canton. Ils étaient peu nombreux, et cependant leurs efforts ne furent pas impuissans. À cette époque, les barbares rebelles, fatigués d’un long séjour sur l’Océan, entrèrent dans notre pays. Parmi les officiers de la province, aucun n’avait l’adresse de les vaincre. Ils épuisaient inutilement les forces et le revenu de sept provinces. L’armée impériale était constamment battue. Ses munitions tombaient entre les mains de l’ennemi auquel elle n’osait faire face. Il fallut acheter la paix par le paiement de 16 millions de taëls et l’ouverture de cinq ports.

« Jamais pareil déshonneur n’avait atteint notre pays. Les nations voisines nous méprisent et les étrangers des quatre coins du monde se rient de nous. Pouvons-nous supporter de semblables affronts sans rougir ?

« Sen eût dû être mis au rang des héros anciens qui tuaient les tyrans, il faut que l’on sache quelle a été sa récompense, afin que les braves apprennent par son exemple à se montrer prudens et circonspects. »

La position de Séou, on le voit, devenait difficile. Comblé d’honneurs après ses succès du mois d’avril, il pouvait craindre de payer de sa tête les embarras que l’odieux excès de son zèle menaçait de susciter au Céleste Empire. Heureusement pour lui, le gouverneur chinois unissait la souplesse à l’opiniâtreté ; c’est par cette rare alliance qu’il parvint à endormir la colère du peuple de Canton et le juste courroux des compatriotes d’Amaral. Le temps a toujours

  1. En substituant probablement aux véritables meurtriers des criminels tirés des prisons.